Archives mensuelles : février 2014

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Autour des mots « anéantissement » et « extermination »

 

 Séance lexicale 

Peggy Dumont – Collège Jules Ferry (Anzin)

Cette séance vient en prolongement de la lecture analytique du texte Si c’est un homme de Primo Lévi qui évoque le double sens de « camp d’extermination ». A partir de cette difficulté interprétative, on pourra procéder à une activité à dominante lexicale concernant les termes « extermination » et « anéantissement » et tenter par là-même de comprendre certains  enjeux qu’implique l’exercice de la traduction, puisque, bien que synonymes, ces 2 termes ont des étymologies et des formations quasiment contraires.

Ainsi, à partir de l’étymologie de ces mots, de leur formation, leur famille, en passant par leur évolution historique, les élèves réaliseront une carte heuristique autour de ces notions lexicales.

 

Cette activité d’une durée d’une heure en salle pupitre requiert l’exploitation de ressources numériques et plus particulièrement de dictionnaires en ligne.

Les élèves disposent du questionnaire ci-dessous sur leur serveur et y répondent en autonomie. Le professeur guide ces recherches en ponctuant la séance de pauses permettant l’observation d’écrans d’élèves proposant des éléments de réponses, fautifs, incomplets, contradictoires, afin de faire évoluer la réflexion lexicale dans l’alternance de moments de recherches autonomes et collectifs.

 Si comprenderà allora il duplice significato del termine « Campo di annientamento », e sarà chiaro che cosa intendiamo esprimere con questa frase : giacere sul fondo.

 traduit de l’italien par Martine Schruoffeneger ainsi :

On comprendra  alors le double sens du terme « camp d’extermination »  et ce que  nous entendons par l’expression  » toucher le fond « .

 

1° Quel mot italien correspond au mot français « extermination » ?

 Le mot italien correspond au mot français « extermination » est « annientamento ».

 

2° Ce mot italien est un mot transparent. Par quel mot français pourriez-vous le traduire ? Ce mot vous paraît-il  synonyme du mot « extermination »   ?

On peut traduire ce mot transparent par le mot français « anéantissement« . On remarque en effet une formation commune entre les 2 mots :

Préfixe Radical Lexique

an

-nient-

amento

a

-néant-

issement

A priori, « extermination » et « anéantissement » sont synonymes.

 

 3° En utilisant le site du dictionnaire le Littré en ligne  (http://www.littre.org/) vous rechercherez :

  • L’étymologie du mot EXTERMINER, son sens premier ainsi que sa formation.
  • Vous citerez des mots de la même famille du mot EXTERMINER en précisant leur nature grammaticale et leur formation.
  • L’étymologie du mot ANEANTIR et son sens premier ainsi que sa formation.
  • Vous citerez des mots de la même famille du mot ANEANTIR en précisant leur nature grammaticale et leur formation.

 

EXTERMINER

Etymologie Du latin exterminare, proprement chasser, expulser, De ex (hors de) et terminus (terme, limite)
Sens premier Chasser des frontières, bannir, faire disparaître, expulser et, par extension, faire périr.
Formation EX -TERMIN- ER
Mots de la même famille Terme, terminus, terminer, terminal, terminaison, terminologie, interminable, déterminer, détermination, déterminisme, déterminant, déterminatif, indéterminé, prédéterminer, extermination, exterminatoire, exterminateur…

 

            ANEANTIR

Etymologie Du provençal anientar  et de l’ italien  anientare ;De a (du latin ab : vers, en direction de ) et néant, à l’aide de la terminaison verbale ir.On disait dans l’ancien français anientir et anienter
Sens premier Faire entrer dans le néant, détruire
Formation  A -NEANT- IR
Mots de la même famille Néant, néantir, néantiser, néantisant, néantisation, néantité, anéantissement…

 

 

4° Quelle remarque pouvez-vous faire concernant l’étymologie et la formation de ces 2 mots ?

Alors que ces 2 mots sont a priori synonymes, on remarque cependant que selon leur étymologie, ces deux mots sont quasiment antonymes :

exterminer signifiant chasser hors des limites

anéantir signifiant faire entrer dans le néant.

 5° Que pensez-vous désormais de la traduction de l’expression « campo di annientamento » ?

            L’expression italienne « campo di annientamento » indique étymologiquement que les déportés entrant dans ces camps, entrent dans le même temps dans le néant (idée qui disparaît dès lors que l’expression est traduite par « camp d’extermination » – camp hors des limites).

 

 

 6° Comment expliqueriez-vous « le double sens du terme «camp d’extermination»  » ?

            Primo Lévi évoque « le double sens du terme «camp d’extermination»  » faisant allusion au sens propre et figuré  : les hommes entrant dans ces camps sont à la fois exterminer physiquement, mais voient également leur humanité réduite à néant. Précisément, cette dernière idée s’exprime de façon beaucoup plus signifiante dans le texte italien qui utilise le terme « anéantissement » et rappelle ainsi que ces camps de la morts sont des lieux dans lesquels les prisonniers sont plongés dans le néant, tant du point de vue physique que moral.

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Variation sur l’humanité en débat

Variation sur l’humanité en débat

 Des idées pour proposer cette séquence à d’autres niveaux :

 

La séquence « l’humanité en débat »classe de 1ère

 

1) Dans les sections générales, dans le cadre de l’objet d’étude : la question de l’homme dans l’argumentation du XVIe à nos jours.

Les programmes préconisent en effet « permettre aux élèves d’accéder à la réflexion anthropologique dont sont porteurs les genres de l’argumentation afin de les conduire à réfléchir sur leur propre condition. On contribue ainsi à donner sens et substance à une formation véritablement humaniste. Dans cette perspective, on s’attache à mettre en évidence les liens qui se nouent entre les idées, les formes qui les incarnent et le contexte dans lequel elles naissent. Le fait d’aborder les œuvres et les textes étudiés en s’interrogeant sur la question de l’homme ouvre à leur étude des entrées concrètes et permet de prendre en compte des aspects divers, d’ordre politique, social, éthique, religieux, scientifique »…

Ce groupement de textes permet en particulier d’appréhender « les finalités propres de cet enseignement » et plus particulièrement la construction progressive de repères permettant une mise en perspective historique des œuvres littéraires ; le développement d’une conscience esthétique permettant … d’analyser l’émotion qu’elles procurent et d’en rendre compte à l’écrit comme à l’oral ; la formation du jugement et de l’esprit critique. »

Dans cette optique, on pourra utiliser les textes de l’anthologie « itinéraires humanistes pour notre temps » et notamment les textes  de Boudjedra, Vargas Llosa, Primo Levi et Jean Ferrat.  On leur adjoindra un extrait de Las Casas et un extrait de Montaigne concernant les cannibales.

2) Ce groupement peut aussi être proposée dans le cadre de l’objet d’étude spécifique de la  1ère L : Vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme.

Les programmes précisent en effet que « l’enseignement spécifique de littérature à destination des élèves de la série L doit permettre un approfondissement et un élargissement des connaissances nécessaires à :

la construction et à la consolidation de leur culture littéraire ;

– la découverte de problématiques liées à la poursuite d’études dans le champ des humanités ;

– l’exercice des capacités à construire des interprétations, à établir des correspondances, à rédiger et à s’exprimer avec rigueur et clarté – capacités plus particulièrement attendues chez des élèves engagés dans la voie des études littéraires »…

            Le professeur  pourra proposer « Un ou deux groupements de textes comportant des extraits d’œuvres appartenant aux littératures européennes et permettant d’élargir la culture littéraire des élèves, en les incitant à problématiser leur réflexion en relation avec l’objet d’étude concerné. Le professeur veille à proposer des textes appartenant aux littératures des pays d’Europe et, éventuellement, à d’autres époques que celle de l’œuvre étudiée par ailleurs. Il peut par exemple, dans ces groupements, faire percevoir les liens qui existent entre l’humanisme renaissant et les Lumières, ou suivre jusque dans les littératures contemporaines les prolongements de certaines de ses idées et de ses formes. »

    Dans le cadre de l’étude de la langue, on privilégiera « les questions qui touchent à l’organisation et à la cohérence de l’énoncé, afin de développer la capacité à prendre en compte et à structurer le sens global d’un texte ou d’un propos ;

– au niveau du discours, la réflexion sur les situations d’énonciation, sur la modalisation et sur la dimension pragmatique est développée, dans le but de favoriser la compréhension de l’implicite, des enjeux et des interactions dans toute forme de communication ;

– le vocabulaire fait l’objet d’un apprentissage continué, notamment en relation avec le travail de l’écriture et de l’oral : on s’intéresse à la formation des mots, à l’évolution de leurs significations et l’on fait acquérir aux élèves un lexique favorisant l’expression d’une pensée abstraite.

Dans cette optique, on pourra ajouter un ou deux textes de Léry et un autre extrait de Montaigne ou un extrait de JC Carrière à mettre en parallèle avec le texte de Léry.

 

3) Pour le lycée professionnel :

La séquence est envisageable pour la classe de terminale bac professionnel. Elle rentre en effet dans l’objet « identité et diversité »  : analyser les modalités et les enjeux de la présentation de l’autre dans une écrit ou dans une image ; confronter ses valeurs aux valeurs de l’autre ; comprendre comment une œuvre met en tension les expériences  individuelles et les tensions collectives.

Elle peut aussi s’intégrer à l’objet d’étude : L’homme et son rapport au monde à travers la littérature et les autres arts ;  interpréter la dimension symbolique d’une situation.

Dans ce cadre, il faudrait privilégier les textes de l’anthologie comme point de départ car ce sont des textes du XXe siècle pour mettre les textes des siècles antérieurs en « écho ».

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Montaigne Essais, chap. 31 « Des cannibales », 1595

Montaigne       Essais, chap. 31  « Des cannibales », 1595  

En 1562, Montaigne accompagne l’armée royale à Rouen et y rencontre des « cannibales » du Brésil. Ces Indiens fascinent les Européens qui ne se lissent pas de les décrire, non sans s’interroger sur eux-mêmes. Dans ce passage, Montagne tente de prendre à rebours l’opinion commune qui assimile le sauvage à un barbare.

[Les Cannibales] font des guerres contre les nations qui sont au-delà de leurs montagnes, plus loin sur la terre ferme, guerres où ils vont tous nus, n’ayant d’autres armes que des arcs ou des épées de bois, aiguisées par un bout, à la façon des fers de nos épieux[1]. C’est une chose étonnante que la dureté de leurs combats, car, pour ce qui est des déroutes et de l’effroi, ils ne savent pas ce que c’est. Chacun rapporte, en trophée personnel, la tête de l’ennemi qu’il a tuée et il l’attache à l’entrée de son logis. Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers et avec touts les agréments auxquels ils se peuvent penser, celui qui en est le maître fait une grande assemblée des gens de sa connaissance : il attache une corde à l’un des bras du prisonnier par le bout de laquelle il le tient, éloigné de quelques pas, de peur d’être blessé par lui, et il donne au plus cher de ses amis l’autre bras à tenir de même [façon] ; puis eux deux, en présence de toute l’assemblée, l’assomment à coups d’épée. Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun ; ils en envoient aussi des morceaux à ceux de leurs amis qui sont absents. Ce n’est pas, comme on pense, pour s’en nourrir, ainsi que faisaient anciennement les Scythes[2] : c’est pour manifester une très grande vengeance. Et pour preuve qu’il en est bien ainsi, [voici un fait] : s’étant aperçu que les Portugais, qui s’étaient alliés à leurs adversaires, usaient contre eux, quand ils les prenaient, d’une autre sorte de mort qui consistait à les enterrer jusqu’à la ceinture et à leur tirer sur le reste du corps force coups de traits[3], puis à les pendre, ils pensèrent que ces gens-ci de l’ancien monde, en hommes qui avaient semé la connaissance de beaucoup de vices dans leur voisinage et qui étaient beaucoup plus grands maîtres qu’eux en toute sorte de méchanceté, n’adoptaient pas sans cause cette sorte de vengeance et qu’elle devait être plus pénible que la leur ; [alors] ils[4] commencèrent à abandonner leur manière ancienne pour suivre celle-ci. Je ne suis pas fâché que nous soulignions l’horreur barbare qu’il y a dans une telle action, mais plutôt du fait que, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles à l’égard des nôtres. Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort[5], à déchirer par des tortures et des supplices[6] un corps ayant encore toute sa sensibilité, à le faire rôtir petit à petit, à le faire mordre et tuer par les chiens et les pourceaux (comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche date, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion) que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé.

Chrysippe et Zénon[7], chefs de l’école Stoïque, ont bien pensé qu’il n’y avait aucun mal à se servir de notre chair, à quelque usage que ce fût pour notre besoin, et même d’en tirer de la nourriture, comme [le firent] nos ancêtres [quand], assiégés dans la ville d’Alésia, ils se résolurent à lutter contre la faim due à ce siège en utilisant les corps des vieillards, des femmes et autres personnes inutiles au combat.

Vascones, fama est, alimentis talibus usi

Produxere animas[8]

Les médecins aussi ne craignent pas de s’en servir pour toute sorte d’emploi  en faveur de notre santé, soit pour l’appliquer au-dedans ou au dehors ; mais il ne se trouva jamais aucune opinion à ce point déréglée qu’elle excusât la trahison, la déloyauté, la tyrannie, la cruauté, qui sont nos fautes habituelles.

Nous pouvons donc bien appeler ces hommes barbares eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.



[1] A la manière des embouts ferrés

[2] Peuple antique d’origine iranienne

[3] Les flèches

[4] Si bien qu’ils …

[5] Montaigne fait ici références aux guerres religieuses entre Catholiques et protestants ( 1562-1598)

[6] Tortures

[7] Philosophes grecs du III eme siècle avant J.-C.

[8] « les Gascons , dit-on, en usant de tels aliments, prolongèrent leur vie » (propos attribués à Juvénal, poète satirique latin, 1er siècle ap. J.-C.

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Bartholomé de Las Casas  » La très brève relation de la destruction des Indes » ( extrait prologue)

Bartholomé de Las Casas

 

La très brève relation de la destruction des Indes (prologue, extrait)

 

Ils entraient dans les villages et ne laissaient ni enfants, ni vieillards, ni femmes enceintes ou accouchées qu’ils n’aient éventrés et mis en pièces, comme s’ils s’attaquaient à des agneaux réfugiés dans leurs bergeries. Ils faisaient des paris à qui ouvrirait un homme d’un coup de couteau, ou lui couperait la tête d’un coup de pique ou mettrait ses entrailles à nu. Ils arrachaient les bébés qui tétaient leurs mères, les prenaient par les pieds et leur cognaient la tête contre les rochers. D’autres les lançaient par-dessus l’épaule dans les fleuves en riant et en plaisantant et quand les enfants tombaient dans l’eau ils disaient: « Tu frétilles, espèce de drôle ! » ; ils embrochaient sur une épée des enfants avec leurs mères et tous ceux qui se trouvaient devant eux. Ils faisaient de longues potences où les pieds touchaient presque terre et par groupes de treize, pour honorer et révérer notre Rédempteur et les douze apôtres, ils y mettaient le feu et les brûlaient vifs. D’autres leur attachaient tout le corps dans de la paille sèche et y mettaient le feu ; c’est ainsi qu’ils les brûlaient. A d’autres et à tous ceux qu’ils voulaient prendre en vie ils coupaient les deux mains, et les mains leur pendaient, et ils leur disaient : « Allez porter les lettres », ce qui signifiait d’aller porter la nouvelle à ceux qui s’étaient enfuis dans les forêts. C’est ainsi qu’ils tuaient généralement les seigneurs et les nobles : ils faisaient un gril de baguettes sur des fourches, ils les y attachaient et mettaient dessous un feu doux, pour que peu à peu, dans les hurlements que provoquaient ces tortures horribles, ils rendent l’âme.

J’ai vu une fois brûler sur les grils quatre ou cinq seigneurs importants (et je crois même qu’il y avait deux ou trois paires de grils où d’autres brûlaient). Comme ils poussaient de grands cris et qu’ils faisaient pitié au capitaine, ou bien qu’ils l’empêchaient de dormir, celui-ci ordonna de les noyer ; et l’alguazil, qui était pire que le bourreau qui les brûlait (et je sais comment il s’appelait ; j’ai même connu sa famille à Séville), n’a pas voulu les noyer ; il leur a d’abord mis de ses propres mains des morceaux de bois dans la bouche pour qu’ils ne fassent pas de bruit, puis il a attisé le feu pour qu’ils rôtissent lentement, comme il le voulait. J’ai vu tout ce que j’ai dit plus haut et bien d’autres choses, innombrables. Tous ceux qui pouvaient fuir se réfugiaient dans les forêts et grimpaient dans les montagnes pour échapper à des hommes aussi inhumains, à des bêtes aussi impitoyables et aussi féroces, à ces destructeurs et ennemis suprêmes du lignage humain. Alors les chrétiens dressèrent des lévriers, des chiens particulièrement méchants, qui dès qu’ils voyaient un Indien le mettaient en pièces en un clin d’œil, ils l’attaquaient et le mangeaient plus vite que si c’eût été un porc. Ces chiens ont fait de grands ravages et de grandes boucheries. Et parce que quelques rares fois les Indiens ont tué quelques chrétiens, avec juste raison et sainte justice, les chrétiens ont convenu entre eux que pour un chrétien tué par les Indiens, ils devaient tuer cent Indiens.

 

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Jean de Léry  » Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil » (1578)

L’Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil constitue l’œuvre principale de Jean de Léry. Dans ce tableau du monde sauvage, l’auteur dépeint la nature brésilienne et les coutumes de l’ethnie « Tupinamba ».

 En premier lieu donc[1] (afin que commençant par le principal je poursuive par ordre) les Sauvages de l’Amérique habitant en la terre du Brésil nommés Tupinambas, avec lesquels j’ai demeuré et fréquenté environ un an, n’étant point plus grands, plus gros, ou plus petits de stature que nous sommes en l’Europe, n’ont le corps ni monstrueux, ni prodigieux à notre égard : bien sont-ils[2] plus forts, plus robustes et replets[3], plus dispos, moins sujets à maladie : et même il n’y a presque point de boiteux, de manchots, d’aveugles, de borgnes, contrefaits, ni maleficiés[4] entre eux. Davantage combien que[5] plusieurs parviennent jusqu’à l’âge de cent ou cent vingt ans (car ils savent bien ainsi retenir et conter leurs âges par

10 lunes), peu y en a qui en leur vieillesse aient les cheveux ni blancs ni gris. Choses qui pour certains montrent non seulement le bon air et bonne température de leur pays, auquel, comme j’ai dit ailleurs, sans gelées ni grandes froidures les bois et les champs sont toujours verdoyants, mais aussi (eux tous buvant vraiment à la fontaine de Jouvence[6]) le peu de soin et de souci qu’ils ont des choses de ce monde. Et de fait, comme je le montrerai encore plus amplement après, tout ainsi qu’ils ne puisent en façon que ce soit en ces sources fangeuses[7], ou plutôt pestilentielles, dont découlent tant de ruisseaux qui nous rongent les os, sucent la moelle, atténuent le corps, et consument l’esprit : bref nous empoisonnent et font mourir devant nos jours : à savoir, en la défiance, en l’avarice qui en procède, aux procès et brouilleries, en l’envie et ambition, aussi rien de tout cela ne les tourmente ; moins[8] les domine et passionne.

Quant à leur couleur naturelle, attendu[9] la région chaude où ils habitent, n’étant pas autrement noirs, ils sont seulement basanés, comme vous diriez les Espagnols ou Provençaux.

Au reste, chose non moins étrange que difficile à croire à ceux qui ne l’ont vu, tant hommes, femmes, qu’enfants, non seulement sans cacher aucune partie de leurs corps, mais aussi sans montrer aucun signe d’en avoir honte ni vergogne[10], demeurent et vont coutumièrement aussi nus qu’ils sortent du ventre de leur mère. Cependant tant s’en faut, comme aucuns[11] pensent, et d’autres le veulent faire croire, qu’ils soient velus ni couverts de leurs poils, qu’au contraire, n’étant point naturellement plus pelus que nous sommes en ces pays par deçà, encore si tôt que le poil qui croît sur eux, commence à poindre et à sortir de quelque partie que ce soit, voire la barbe et jusques aux paupières et sourcils des yeux (ce qui leur rend la vue louche, bicle, égarée et farouche) ou il est arraché avec les ongles, ou depuis que les chrétiens y fréquentent avec des pincettes qu’ils leur donnent : ce qu’on a aussi écrit que font les habitants de l’Ile de Cumana au Pérou. J’excepte seulement quant à nos Tupinambas les cheveux, lesquels encore à tous les mâles dès leur jeune âge, depuis le sommet, et tout le devant de la tête sont tondus fort près, tout ainsi que la couronne d’un moine, et sur le derrière, à la façon de nos majeurs[12] et de ceux qui laissent croître leur perruque, on leur rogne sur le col.

Outreplus[13], ils ont cette coutume, que dès l’enfance de tous les garçons, la lèvre de dessous au dessus du menton, leur étant percée, chacun y porte ordinairement dans le trou un certain os bien poli, aussi blanc qu’ivoire, fait presque de la façon d’une de ces petites quilles de quoi on joue par deçà sur la table avec la pirouette[14].



[1] Par conséquent

[1] Au contraire ils sont

[1] Bien en chair

[1] Frappés par un maléfice

[1] Combien que = même si

[1] Fontaine qui ramène un vieillard à l’état de jeunesse, quand il s’y trempe

[1] Fangeuse = pleines de boue épaisse

[1] Encore moins

[1] Etant donné

[1] Sans vergogne = sans aucun scrupule

[1] Certains

[1] Aînés

[1] De plus

[1] Référence à un jeu de quille traditionnel (qui se joue sur une table)

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L’humanité en débat

 

                                                                   L’humanité en débat 

Problématique : La tolérance en question : entre tolérable et intolérable.

 Christophe Buwalda

Lycée Blaringhem, Bethune

Niveau : 1ère

 

Objet d’étude, thème du programme : La question de l’homme dans l’argumentation, du XVI à nos jours

 Objectifs généraux du projet :

Cette séquence se propose de répondre à une des entrées du programme de 1ère : la question de l’homme dans l’argumentation du XVI à nos jours. Elle propose en effet de travailler sur des textes d’horizons et d’époques diverses, mais aussi des illustrations issues des manuscrits et récits de voyage du XVIe siècle.

Le thème retenu est celui du regard porté sur l’autre en montrant quelles en sont les constantes, mais aussi comment les auteurs, à travers ce regard, parviennent à faire émerger quelques unes des valeurs de l’humanisme. Le but est de montrer comment la lecture et la connaissance de ces textes viennent nourrir la réflexion sur l’humain et mettre en évidence que les valeurs humanistes ne sont pas acquises une fois pour toutes, mais se construisent  pour chacun de nous, chaque jour  .

Cette séquence se propose de lier étroitement textes appartenant au patrimoine culturel et ceux proposés au sein de l’anthologie « Itinéraires humanistes pour notre temps » avec comme  objectif : guider les élèves dans leur réflexion : quelle est la place de l’humain  dans une société dominée par la violence souvent gratuite ?

Présentation synthétique de la séquence  puis détail de l’activité et/ou de la séance proposée : 

Séances

Objectifs

Activités  / supports

Séance 1

Entrer dans la séquence approche et exploitation du texteproblématique  : Jusqu’où peut-on aller dans lhorreur ? Comment s’ en rendre compte ?  * quelle réception initiale ?* quel effet est produit sur le lecteur ?* fiction ?  réalité ? témoignage ?  Lecture Analytique : Les funérailles (Rachid    Boudjedra, 2003) anthologie p: 164 *quel est le regard porté sur Sarah ?* comment Sarah révèle-t-elle les autres ?* quels sont les effets attendus de ce témoignage ? dans quel but et avec quelles attentes ? comment peut-on le savoir ?* caractériser : barbarie / cruauté / inhumanité  ; comment distinguer les termes qui souvent dans l’esprit de l’élève sont synonymes.

Séance 2

Langue : Autour du mot « barbare »Etymologie Elargir la perception sémantique du mot Recherche lexicale : fiche synthèse Article du dictionnaire et début du texte « Les Cannibales » (Montaigne) : Quelles acceptions dans le texte. ?Qu’est-ce qu’un barbare au XVI ? aujourd’hui ?

Séance 3

Travail sur la question de corpus * comment l’auteur met-il en évidence l’horreur du récit ?* avec quelles attentes ?(textes du XVI / XVIII / XX siècles ) Support : corpus de 4 textesLas Casas : « Prologue brève histoire ...*Voltaire : Candide (ch.3) : « destruction du village Abare*Montaigne : extrait 2 des Cannibales*M. Vargas Llosa : « la fête au bouc » anthologie p: 166

Séance 4

Travail sur l’image Quels effets produisent-elles ?Quels procédés l’image utilise-t-elle ?Quels regards sur l’autre les images amène-t-elles à poser ?Qui est barbare ? (écho Montaigne)  Support pour l’étude (gravures XVI)* planches de la BNF Observation / Classement Synthèse

séance 5

Lecture analytique Quelles sont les intentions de Diderot ?Comment met-il en évidence la critique européenne à travers un brouillage énonciatif ? Pourquoi ? Diderot : supplément au voyage de Bougainville (Chap. 2 : « discours du vieux Tahitien »)-Une rhétorique de l’accusation- Un discours affectivement marqué : La double énonciation : les discours entremêlés ; – oppositions lexicales-Le raisonnement par l’absurde

Séance 6

Quelle  image du « sauvage » ?* les stéréotypes* apprendre à dépasser les préjugés* Lery : précurseur de Levy Strauss ? Jean de Lery (texte sur le Brésil )Mettre en évidence les liens avec les textes de Montaigne (XVI), Diderot (XVIII)Bilan synthèse

Séance 7

Etude comparée :Les barbares au XXJ. Ferrat / M. Vargas Llosa » pour que l’on sache qui vous étiez » Réinvestissement des procédés repérés dans l’extrait de Diderot

Séance 8

De quel côté faut-il alors se placer ?Privilégier le récit .Se placer du point de vue des victimes.  Primo Lévi : Si c’est un homme

séance 9

Bilan général sous forme de tableau récapitulatif (préparation en vue EAF) : circuler dans la séquence

 

Phares sur certaines séances :

 séance 4 : travail sur l’image  (trois illustrations venant du site de la BNF : Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastattarum)

Objectifs :

* distinguer les formes de barbarie

* l’impact de l’image par rapport au texte : quelle différence entre l’image de la barbarie véhiculée par les images et celles données par les textes déjà étudiés.

supports :

 

 gravures illustrant la  Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastattarum  4gravures illustrant la  Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastattarum  2gravures illustrant la  Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastattarum

 illustration1                                        illustration 2                                   illustration3

Etude des différentes images :

* Quels effets produisent-elles ?

* Quels procédés l’image utilise-t-elle ?

* Quels regards sur l’autre les images amènent-elles à poser ?

* Qui est barbare ? (écho Montaigne)

Réalisation d’une synthèse des observations

séance 5 Diderot , extrait du supplément au voyage de Bougainville 

Réinvestissement de la séance sur un texte du XVIII e siècle.

Problématique : quelles images de la « civilisation » s’entremêlent ici ? Quel éclairage les Lumières donnent-elles à cette notion de sauvage ?

Comment Diderot  met-il en évidence la critique européenne à travers un brouillage énonciatif ? Pourquoi ?

Etude menée sur le texte :

– quelle(s) idée(s)  défend le vieux tahitien ?

– quels sont les arguments employés par le chef ?

– en faveur du mode de vie tahitien

– contre l’attitude européenne

* Comment le vieux tahitien s’y prend-t-il pour convaincre  (rhétorique de l’accusation )

Séance 7 : Etude comparée :  Les barbares au XXe siècle  :  » pour que l’on sache qui vous étiez »

 objectifs : découvrir le texte de Ferrat pour voir ce qui diffère du texte de Vargas (travaillé en séance 3 dans le cadre du corpus de textes)

quels procédés sont employés dans les textes pour souligner la perception de la barbarie dans les textes du XX e siècle.

Etude des textes :

 

Texte 1 : J. Ferrat : Nuits et brouillard  : des mots au rythme

Peu d’élèves aujourd’hui connaissent Ferrat comme chanteur ; on va se servir de cette lacune pour  aborder le texte comme un poème pour ensuite le leur faire écouter et voir comment le rythme et la mélodie viennent renforcer le message des mots.

Etape 1 :  lecture du texte : réception initiale

Quelle réalité est ici décrite ; sous quelle forme ?

Quelle est l’intention du poète ici ?

Problématique : Quel apport la poésie offre-t-elle pour exprimer ce type de message ?

On attend que les élèves ici convoquent leurs connaissance sur le thème de la poésie « engagée » vue au collège ou abordée en classer de 2nde (poésie aux 19 et 20 siècles)

* la réalité visée par Ferrat  : circonstances retenues, les images employées : comment Ferrat suggère-t-il la dimension universelle du massacre ?

* ses intentions : devoir de mémoire, rendre hommage au survivant, …

* la forme du poème : l’anaphore des 4 premiers vers  de la 1ère strophe : comment l’interpréter ?

* l’engagement en poésie

Etape 2 : Ecoute de la mise en voix du texte cf. chanson :

* rôle des percussions : train / glas / solennel

* guitare : dimension sensible, enrichissement des instruments qui accompagnent la voix du poète

* aspect lancinant et résonnance.

Bilan : comment rythme et musique renforcent-ils les mots ?

 

Texte 2 : Mario Vargas Llosa : La fête au bouc  : traduire ce qui dépasse l’entendement humain.

problématique : Que faut-il sous-entendre pour comprendre le titre donné au texte ? Comment la fiction est-elle mise au service de l’expression de l’horreur ?

Etude du texte :

* le vocabulaire péjoratif  : de l’horreur des tortionnaires au désespoir de la victime

* l’usage des pronoms personnels pour dépersonnaliser : quel enjeu ?

* les caractérisations employées pour les tortionnaires

* les « solutions » pour prolonger l’horreur

Bilan : compétences mobilisées au cours des différentes activités du projet

lecture

– Lire des textes variés pour mettre en évidence les liens qui se nouent entre les idées, les formes qui les incarnent et le contexte dans lequel elles naissent.- Apprécier les œuvres, analyser l’émotion qu’elles procurent et en rendre compte à l’écrit ou à l’oral.- Rendre l’élève plus autonome dans sa démarche pour lire, interpréter et construire son analyse. 

culture humaniste /

histoire des arts

– Observer et rendre compte du « projet de l’artiste » à travers des gravures et des représentations du XVI siècle.- Comment rythme et musique sont mis au service du message porté par un texte ?

Types d’écrits travaillés

– Rédiger une réponse argumentée et cohérente.- Travailler la lecture analytique et le commentaire

langue

– Travail autour du mot « barbare » et du mot « étranger »- Etude de la modalisation

oral

– Préparer à l’Epreuve Anticipée de Français- Répondre à une question sur le texte- Savoir formuler et justifier  la problématique (entraînement à l’entretien)

Utilisation des TICE :

– Faire une recherche documentaire sur les contextes historiques dans lesquels sont écrits les textes

– Construire une carte heuristique rendant compte des apports de la séquence

– Construire un diaporama de synthèse sur les textes de la séquence en vue de l’EAF : quelle place pour chaque texte, quel apport, quels liens tisser entre eux ? Apprendre à circuler entre les textes et les documents complémentaires.

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Lettres de poilus

Lecture analytique n°1

Texte 1

Jeudi 28 janvier 1915

J’erre, toujours aussi incapable d’écrire. […] Il gèle épouvantablement ce matin, sans que j’arrive à me réchauffer les doigts. S’il n’y avait encore que les doigts de gelés ; mais le bonhomme ne vaut guère mieux, et le cafard est pire que la gelée (…) ; la perspective de retourner ce soir dans le vieux secteur du bois carré4, et de reprendre la vie souterraine, nocturne et marécageuse n’étant pas pour le dissiper.  Voilà six mois bientôt que ça dure, six mois, une demi-année qu’on traîne entre vie et mort, jour et nuit, cette misérable existence qui n’a plus rien d’humain ; six mois, et il n’y a encore rien de fait, aucun espoir. Tout est à recommencer. (…) Alors, les canons seront prêts et dans l’arène lamentable des tranchées, la boucherie néronienne reprendra plus sanglante que jamais, et pareils aux esclaves antiques, on ne nous tirera de nos cachots que pour nous jeter en pâture aux monstres d’acier. Et ce sera au retour du printemps, au renouveau de la terre. […] Hier, ou avant-hier, au rapport, on a lu des lettres de prisonniers boches. Pourquoi ? je n’en sais rien, car elles sont les mêmes que les nôtres. La misère, le désespoir de la paix, la monstrueuse stupidité de toutes ces choses, ces malheureux sont comme nous, les Boches ! Ils sont comme nous et le malheur est pareil pour tous. […] Nous retombons à la brute : je le sens chez les autres, je le sens chez moi ; je deviens indifférent, sans goût, j’erre, je tourne, je ne sais ce que je fais. […] Je vous embrasse.

                                                                                                                                                                                 Etienne

(Etienne a été blessé en septembre 1915. Soigné pendant près de six mois, il a été renvoyé au front et a été fait prisonnier en mars 1918. Etienne a survécu à la guerre. )

Tranchées-Palace, le 14 décembre 1914

 Chers parents,

II se passe des faits à la guerre que vous ne croiriez pas ; moi-même, je ne l’aurais pas cru si je ne l’avais pas vu ; la guerre semble autre chose, eh bien, elle est sabotée. Avant-hier – et cela a duré deux jours dans les tranchées que le 90e occupe en ce moment – Français et Allemands se sont serré la main ; incroyable, je vous dis ! Pas moi, j’en aurais eu regret. Voilà comment cela est arrivé : le 12 au matin, les Boches arborent un drapeau blanc et gueulent : «Kamarades, Kamarades, rendez-vous. » Ils nous demandent de nous rendre « pour la frime». Nous, de notre côté, on leur en dit autant ; personne n’accepte. Ils sortent alors de leurs tranchées, sans armes, rien du tout, officier en tête ; nous en faisons autant et cela a été une visite d’une tranchée à l’autre, échange de cigares, cigarettes, et à cent mètres d’autres se tiraient dessus ; je vous assure, si nous ne sommes pas propres, eux sont rudement sales, dégoûtants ils sont, et je crois qu’ils en ont marre eux aussi. Mais depuis, cela a changé ; on ne communique plus ; je vous relate ce petit fait, mais n’en dites rien à personne, nous ne devons même pas en parler à d’autres soldats. Je vous embrasse bien fort tous les trois.

Votre fils, Gervais (Gervais a été tué à 21 ans en mai 1915)

Source : « Paroles de Poilus ». Lettres et carnets du front (1914-1918). Sous la direction de Jean-Pierre Guéno et d’Yves Laplume. Paris : Radio France 1998 : pp. 78 à 79 et 112 à 113.

 

 

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Etre un homme au cœur de la Guerre

« Quelles valeurs humanistes possibles après un siècle de conflits ? »

 Peggy Dumont – Collège Jules Ferry (Anzin)

                                                                   Niveau : Collège, 3ème

 

Objet d’étude, thème du programme :

Cette séquence répond à l’une des entrées du programme de 3ème : Formes du récit au XXème et XXIème siècle. Plus précisément, la séquence s’appuie sur un groupement de textes « porteurs d’un regard sur l’histoire et le monde contemporain. »

Le thème retenu est celui de la guerre et le corpus des œuvres littéraires et cinématographiques étudiées,  mettant en scène les grands conflits du XXème siècle, permettra de se demander quelles valeurs humanistes sont possibles en temps de guerre et si  ces valeurs peuvent  survivre à la guerre.

Ce thème permettra, à travers un parcours de lecture de textes appartenant à l’anthologie « Itinéraires humanistes pour notre temps », de la lecture cursive d’une œuvre intégrale,  Le garçon au pyjama rayé de John Boyne, et de l’analyse filmique d’extraits de 2 films évoquant les deux conflits mondiaux du XXème siècle, de questionner les élèves sur ce que sont les valeurs humanistes et des effets de la guerre sur ces valeurs.

Le professeur pourra également bâtir, en lien avec le programme d’Histoire, un projet Histoire des Arts dont l’objet d’étude intitulé « La Guerre dans les Arts au XXème siècle » répondra à la problématique suivante : « Quelles valeurs humanistes possibles après un siècle de conflits ? »

Objectifs généraux du projet :

lecture 2 lettres de poilus : (extrait de « Paroles de Poilus ». Lettres et carnets du front (1914-1918). Sous la direction de Jean-Pierre Guéno et d’Yves Laplume. Paris : Radio France 1998 : pp. 78 à 79 et 112 à 113.)-Un corpus de textes extraits de l’anthologie : 

  • Primo Levi : Si c’est un homme (Anthologie p.238 à 241)
  • Jean Ferrat : Nuit et brouillard (Anthologie p.222 à 223)
  • J.C. Grumberg : L’atelier (Anthologie p.228 à 229)
  • Tim O’Brien : A propos de courage (Anthologie p.356 à 357)

– Lecture cursive  : Le garçon au pyjama rayé de John Boyne

 

culture humaniste / histoire des arts
  • Thème  : « Arts, Etats et pouvoirs »
  • Domaines : « Art du langage », « Art du Son », « Art du Visuel »
  • Période : XXème siècle
  • Objet d’Etude : « La Guerre dans les Arts au XXème sièclle
  • problématique :
  • « quelles valeurs humanistes possibles après un siècle de conflits ? » 
  • La Grande Illusion de Jean Renoir : Analyse filmique de 4 extraits
  • (Extrait 1 : 2 min35 à 10 min02 / Extrait 2 : 1h03min11 à 1h06 / Extrait 3 : 1h 30 min31 à 1h 34 min 04 / Extrait 4 : 1h 50min58 à fin)- La Vie est Belle de Roberto Benigni : 48min23 à 49 min
Types d’écrits travaillés 
  • Des écrits fonctionnels : écrits de synthèse après différentes lectures analytiques
  • Un écrit fictionnel : faisant suite au visionnement d’un extrait filmique
  • Grammaire : le système hypothétique et propositions subordonnées circonstancielles de condition
  • lexique : « extermination » et « anéantissement »
Oral 
  • Travail de la lecture expressive
  • Entraînement à l’oral d’histoire des Arts
Utilisation des TICE 
  • Utilisation de lasalle pupitre pour faciliter l’analyse des textes, l’enregistrement de lectures expressives, la mise en images grâce à un logiciel de montage type Windows Movie Maker.
  • Utilisation du TBI au service de lalecture de l’image
  • Exploitaion de ressources numériques en ligne pour aider les élèves à mieux écrire (dictionnaires électroniques)
  • Réalisation en salle pupitre de diaporamas support de l’oral Histoire des Arts.

 

 

 Présentation synthétique de la séquence  puis détail de l’activité et/ou de la séance proposée :

 

Plan synthétique de la séquence,  Etre un homme au cœur de la Guerre

Séance 1 : Séance d’Histoire des Arts:

Dans le cadre de COLLEGE au CINEMA, les élèves peuvent avoir l’occasion de visionner le film de Jean Renoir, la Grande Illusion, dans son intégralité, mais le professeur peut aussi se contenter en classe de procéder à l’analyse filmique de 4 extraits parmi lesquels :

Extrait 1 : 0h2’01 à 0h10’47 : Dès le début de son film, Jean Renoir dénonce l’absurdité de la guerre. Il démontre en effet dès les 3 premières séquences, que les différences sociales divisent davantage les hommes que les différences ethniques (montage parallèle des 2 premières scènes – composition filmique du repas des officiers explicite)

Extrait 2 : 1h00’24 à 1h03’04 : le capitaine Rauffenstein reçoit de Boëldieu dans sa « chapelle» et ce dialogue entre les deux hommes met en scène les limites de la solidarité de classe : les deux personnages ont des affinités, s’apprécient, pourraient être amis…, mais la guerre continue et la réalité des combats va les rattraper et leur solidarité de classe n’aura pas raison de ce qui les sépare.

Extrait 3 : 1h 25’13 à 1h 30 ’02 : Dans la campagne allemande, Maréchal et Rosenthal se disputent à cause d’une entorse  que s’est faite Rosenthal… Maréchal part seul en affirmant qu’il n’a « jamais pu blairer les juifs »… mais il revient. Ce qui importe à ce moment du récit, ce n’est plus la réussite à tout prix de l’évasion, mais c’est ce qui fonde l’humanité, la solidarité entre les hommes : Maréchal n’abandonne pas Rosenthal, la solidarité culmine dans la reconnaissance de l’autre comme son frère humain, comme la prise de conscience de leur humanité commune. Mais le film de Renoir véhicule un autre idéal, qui s’avère être également, à la lueur des événements historiques qui suivront,  une autre illusion : l’idéal pacifiste, sensible notamment dans la dernière scène de son film :

Extrait 4 : 1h 50min58 à la fin : Dans la neige, Rosenthal se moque des illusions de Maréchal sur « la der des ders », mais chacun va repartir pour la finir… Une patrouille allemande tire puis s’arrête : « Ils sont en Suisse ». Les deux hommes disparaissent. Le pacifisme est-il une illusion ou un idéal ? Les hommes  peuvent-ils échapper à la guerre ?L’analyse filmique de ces 4 extraits pourra mettre en évidence toute l’ambivalence et la complexité du film de Renoir qui dénonce l’absurdité de tout conflit armé, tout en mettant également en exergue le caractère inéluctable de la guerre. De plus, si elle apparaît comme une composante intrinsèque de l’histoire de l’humanité, la guerre chez Renoir n’empêche pas pour autant la permanence de valeurs humanistes universelles, à commencer par la fraternité qui finit toujours par transcender les déterminismes ethniques, religieux ou sociaux.

Séance 2 : Séance de lecture analytique

Lecture analytique de 2 lettres de poilus permettant d’identifier une problématique mettant en jeu les valeurs humanistes universelles au cœur de la guerre.La valeur testimoniale de ces 2 lettres de poilus permettra de considérer les valeurs humanistes présentes de part et d’autre du front lors de la Grande Guerre, et modère la valeur utopique de l’idéal humaniste développé par Renoir dans la Grande Illusion.La séance s’achève par une trace écrite individuelle faisant la synthèse des séances 1 et 2 et présentant le questionnement qui pourra émerger de ces 2 premières séances.

La seconde partie de la séquence porte sur l’étude d’œuvres évoquant le second conflit mondial. A l’issue de cette étude les élèves pourront confronter les effets produits des deux conflits mondiaux sur la permanence des valeurs humanistes.

Séance 3 : séance mise en images d’un texte

Séance en salle pupitre : Ecoute et mise en images en salle pupitre de la chanson de Ferrat : « Nuit et Brouillard« 

Les élève écoutent en autonomie la chanson de Jean Ferrat : « Nuit et Brouillard« . Ils disposent en version papier et numérique des paroles du textes. Avant toute analyse collective, les élèves (seuls ou en binôme) doivent procéder à la mise en images de la chanson en utilisant le logiciel de montage Windows Movie Maker et en choisissant librement sur internet les images que leur évoque le texte de Ferrat.

Le professeur projette les différentes productions des élèves et de leur confrontation, de la justification de leurs auteurs, émerge le sens du texte (et sa contextualisation) ainsi qu’une possible problématique (par exemple : « suffit-il d’évoquer les victimes de la Shoa par les Arts pour leur rendre leur humanité ? » – « lutter contre l’oubli par les Arts est-ce lutter contre la barbarie ? » ).

 Séance 4 : Séance de lecture analytique

Afin de prolonger le questionnement de la séance 3, on procède à la lecture analytique du texte de Primo Lévi, Si c’est un homme. Il s’agira davantage ici de comprendre le processus de déshumanisation qui fut mis en place dans les « campi di annientamento » (camp d’anéantissement) traduit par « camp d’extermination« .La séance s’achève par un écrit de synthèse individuel reprenant les grands thèmes abordés lors de la lecture analytique collective :- Quel processus de « démolition de l’homme » les camps d’extermination ont-ils instauré ? A quelle fin ?- Pourquoi dire l’indicible ?- Qu’est ce qu’être un homme ?

Séance 5 : Séance lexicale

Cette séance vient en prolongement de la lecture analytique de la séance 4. Primo Lévi parlant du double sens de « camp d’extermination », on pourra procéder à une mise au point lexicale sur les mots « extermination » et « anéantissement »et comprendre par là même les enjeux de la traduction.

A partir de l’étymologie de ces mots, de leur composition en passant par leur évolution historique, les élèves réaliseront une carte heuristique autour de ces notions lexicales.

Séance 6 : séance de langue

A la relecture des deux derniers paragraphes du texte de Primo Lévi, le professeur pourra revenir sur l’observation des outils de langue permettant le fonctionnement du système hypothétique et des propositions subordonnées circonstancielles de condition : par la maîtrise de ce fait grammatical, les élèves pourront comprendre l’utilisation de l’éventuel là où l’on pourrait attendre l’irréel, tant les faits passés soumis à condition présentés par l’auteur portent une valeur universelle intemporelle et tragique.

Séance 7 : séance de lecture analytique

Lecture analytique de  l’extrait de la pièce de J.C. Grumbert : L’Atelier

Au terme de la lecture analytique collective, le professeur propose aux élèves de procéder en binôme à l’enregistrement de la lecture expressive du texte, accompagnée d’une note d’intention de lecture. Il s’agit notamment de rendre compte de l’impossible dialogue entre le Presseur et Simone : l’un incapable d’écouter car trop préoccupé par les révélations qu’il a à faire, l’autre incapable d’entendre car trop préoccupée par le désir de ne pas savoir.

Séance 8 : Expression écrite

Ecrit fictionnel :

Après avoir vu l’extrait 1 du film « La Vie est Belle » de Roberto Benigni, imaginez une lettre écrite par le petit Giosué à sa grand-mère qui vit à San Francisco, aux Etats-Unis.Dans cette lettre, ce jeune enfant italien vivant sous le régime fasciste de Mussolini pendant la guerre de 1940-45, raconte à sa grand-mère la scène qu’il a  vécu avec son père le matin même et s’interroge sur le sens de toutes les interdictions qui sont apparues ces derniers temps sur les vitrines de Rome…Il imagine ensuite un monde où les hommes pourraient vivre sans se soucier des différences entre les hommes (réinvestissement du système hypothétique).

Séance 9 : séance de lecture analytique

Lecture analytique : A propos de courage de Tim O’BrienTexte bilan : Comment retrouver sa part d’humanité malgré la guerre : ce texte est-il complémentaire ou contradictoire avec les œuvres précédemment étudiées ?

Séance 10 : séance BILAN : expression orale puis écrite

Il s’agit ici de dresser le bilan de tout le parcours de cette séquence intitulée « Etre un homme au cœur de la guerre » en tachant de formuler une problématique générale qui pourraient interroger chacune des œuvres étudiées.Les élèves travaillent en binôme ou en petit groupe pour formuler une proposition de problématique générale. La mise en commun sera l’occasion de confronter les différentes œuvres et d’approfondir la réflexion sur ce que sont les valeurs humanistes fondatrices de notre civilisation et des effets que la guerre peut avoir sur ces valeurs. Au terme de cette première étape orale et collective, les élèves sont invités à produire une synthèse écrite individuelle rendant compte de la problématiques et des différentes réponses rencontrées au fil des lectures.

Séance 11 : séance d’oral bilan : préparation à l’épreuve orale HDAe

En salle pupitre, les élèves élaborent des diaporamas qui seront les supports de présentation de leur oral HDA.Par groupe où individuellement, les élèves doivent présenter à la classe, à l’aide de leur diaporama, un exemple d’oral HDA selon la problématique qu’ils auront retenue.La classe dispose du barème officiel retenu dans l’établissement et procède à l’évaluation justifiées des prestations orales de leurs camarades

.Prolongement : Lecture cursive

Au terme de la lecture cursive (autonome) du roman de John Boyne, Le garçon au pyjama rayé, les élèves renroman de John Boyne, Le garçon au pyjama rayé, les élèves rendront udrontn texte argumenté précisant en quoi cette lecture peut, elle aussi, enrichir la problématique de la séquence.

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Devoir type bac : le travail

Devoir type bac

Corpus :

  1. Jean de La Fontaine, « Le Laboureur et ses enfants », Fables  (V, 9) (1690)
  2. Voltaire,  Candide, chapitre XXX (1759)
  3. Boris Vian, L’Ecume des jours , chapitre XXV (1947)
  4. Robert Linhart,  L’Etabli (1978)

 

Question (4 points)

A travers ces textes, peut-on dire que le travail construise l’homme  ?

 

Travail d’écriture  (au choix)

  1. Commentaire :  Vous ferez le commentaire littéraire de la fable de La Fontaine, « Le Laboureur et ses enfants » (document 1).

 

  1. Dissertation :  Pensez-vous que la littérature puisse être utile à l’homme pour améliorer sa condition ?  (ou)  La littérature nous aide-t-elle à apprendre notre « métier d’homme » ?

 

  1. Ecriture d’invention : Le narrateur du texte 4 raconte  à une personne extérieure à l’usine,  un épisode de sa carrière où il a eu particulièrement peur, sur la chaîne de montage. Imaginez son récit, au cours duquel l’interlocuteur pourra brièvement intervenir.

 

 

Document 1 – La Fontaine, Fables, livre V, fable 9 (1690)

Le Laboureur et ses enfants

        Travaillez, prenez de la peine :

C’est le fonds[1] qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,

Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.

Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage

Que nous ont laissé nos parents.

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage

Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.

Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût[2]

Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place

Ou la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ

Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an

Il en rapporta davantage.

D’argent, point de caché. Mais le père fut sage

De leur montrer avant sa mort

Que le travail est un trésor.

 

Jean de La  Fontaine, Fables (1690), livre V, fable IX

 

Document 2 – Voltaire,  Candide   (1759)

Après maintes tribulations périlleuses qui l’ont mené à travers le monde, Candide, entouré de son maître Pangloss et de ses amis, dont Martin, décide de fonder une petite communauté. Dans l’épilogue du conte, il fait une dernière rencontre déterminante : celle du vieillard turc.

 

Pangloss, Candide et Martin, en  retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d’orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le muphti qu’on venait d’étrangler. « Je n’en sais rien, répondit le bonhomme ; et je n’ai jamais su le nom d’aucun muphti ni d’aucun vizir[3].  J’ignore absolument l’aventure dont vous me parlez ; Je présume qu’en général ceux qui se  mêlent des affaires publiques  périssent quelquefois misérablement, et qu’ils le méritent ; mais je ne m’informe jamais de ce qu’on fait à Constantinople ; je me contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive. » Ayant dit ces mots, il fit entrer les étrangers dans sa maison ; ses deux filles[4] et ses deux fils leur présentèrent toutes sortes de sorbets qu’ils faisaient eux-mêmes, du kaïmak[5] piqué d’écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons, des ananas, des pistaches, du café de Moka qui n’était point mêlé par le mauvais café de Batavia et des îles. Après quoi les deux filles de ce bon musulman parfumèrent les barbes de Candide, de Pangloss, et de Martin.

« Vous devez avoir,  dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ?  − Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice, et le besoin. »

Candide, en retournant dans sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à Martin : « Ce bon vieillard me paraît s’être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui nous avons eu l’honneur de souper. –Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes : car enfin  Eglon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards ; le roi Nadab, fils de Jéroboam, fut tué par Baasa ; le roi Ela, par Zambri ; Ochosias, par Jéhu ; Attalia, par Joïada ; les rois Joakim, Jéchosias, Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien, Richard II d’Angleterre, Edouard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Henri IV ? Vous savez… − Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin. – Vous avez raison, dit Pangloss ; car quand l’homme fut mis dans le jardin d’Eden, il y fut mis ut operaretur eum[6], pour qu’il travaillât : ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. – Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. »

 

Document 3 – Boris Vian, L’Ecume des jours,  chapitre XXV  (1947)

    Au cours d’un déplacement,  les deux jeunes héros du roman L’Ecume des jours, Colin et Chloé, croisent des ouvriers au travail.

«   Pourquoi sont-ils si méprisants ? demanda Chloé. Ce n’est pas tellement bien de travailler…

–          On leur a dit que c’était bien, dit Colin. En général, on trouve ça bien. En fait, personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement.

–          En tout cas, c’est idiot de faire un travail que les machines pourraient faire.

–          Il  faut construire des machines, dit Colin. Qui le fera.

–          Oh !  Evidemment, dit Chloé. Pour faire un œuf, il faut une poule, mais une fois qu’on a la poule, on peut avoir des tas d’œufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule.

–          Il faudrait savoir, dit Colin, qui empêche de faire des machines. C’est le temps qui doit manquer. Les gens perdent leur temps à vivre, alors il ne leur en reste plus pour travailler.

–          Ce n’est pas plutôt le contraire ? dit Chloé.

–          Non, dit Colin. S’ils avaient le temps d’en construire des machines, après ils n’auraient plus besoin de rien faire. Ce que je veux dire, c’est qu’ils travaillent pour vivre au lieu de travailler à construire des machines qui les feraient vivre sans travailler.

–          C’est compliqué, estima Chloé.

–          Non, dit Colin. C’est très simple. Ca devrait, bien entendu, venir progressivement. Mais on perd tellement de temps à faire des choses qui s’usent…

–          Mais tu crois qu’ils n’aimeraient pas mieux rester chez eux et embrasser leur femme et aller à  la piscine et aux divertissements ?

–          Non, dit Colin. Parce qu’ils n’y pensent pas.

–          Mais, est-ce que c’est leur faute si ils croient que c’est bien de travailler ?

–          Non, dit Colin, ce n’est pas leur faute. C’est parce qu’on leur a dit : « Le travail, c’est sacré, c’est bien, c’est beau, c’est ce qui compte avant tout, et seuls les travailleurs ont droit à tout. » Seulement on s’arrange pour les faire travailler tout le temps et alors ils ne peuvent pas en profiter.

–          Mais,  alors, ils sont bêtes ? dit Chloé.

–          Oui, ils sont bêtes, dit Colin. C’est pour ça qu’ils sont d’accord avec ceux qui leur font croire que le travail c’est ce qu’il y a de mieux. Ca leur évite de réfléchir et de chercher à progresser et à ne plus travailler.

–          Parlons d’autre chose, dit Chloé. C’est épuisant, ces sujets-là.

 

Texte 4 –  Robert Linhart, L’Etabli ( 1978)

Le narrateur, embauché  dans une usine de Citroën, en 1969, réfléchit sur ses conditions de travail et notamment sur la peur ressentie dans l’usine. Il vient d’évoquer celle suscitée par la présence des chefs et celle des mouchards de la direction, par le biais d’un syndicat proche de la direction.

 

Mais même cela ne suffit pas à définir complètement notre peur. Elle est faite de quelque chose de plus subtil et de plus profond. Elle est intimement liée au travail lui-même.

La chaîne, le défilé des 2 CV, le minutage des gestes, tout ce monde de chaînes ou l’où se sent menacé de perdre pied à chaque instant, de « couler », de « louper », d’être débordé, d’être rejeté. Ou blessé. Ou tué. La peur suppure de l’usine parce que l’usine, au niveau le plus élémentaire, le plus perceptible, menace en permanence les hommes qu’elle utilise. Quand il n’y a pas de chef en vue, et que nous oublions les mouchards, ce sont les voitures qui nous surveillent par leur marche rythmée, ce sont nos propres outils qui nous menacent à la moindre inattention, ce sont les engrenages de la chaîne qui nous rappellent brutalement l’ordre. La dictature  des possédants s’exerce ici d’abord par la toute-puissance des objets.

Et quand l’usine ronronne, et que les fenwicks foncent dans les allées, et que les ponts lâchent avec fracas leurs carrosseries, et que les outils hurlent en cadence, et que,  toutes  les quelques minutes, les  chaînes crachent une nouvelle voiture que happe le couloir roulant, quand tout cela marche tout seul et que le vacarme cumulé de mille opérations répétées sans interruption se répercute en permanence dans nos têtes, nous nous souvenons que nous sommes des hommes, et combien  nous sommes plus fragiles que les machines.

Frayeur du grain de sable.

[1]  ressource

[2] Orthographe du XVIème S. Le nom du mois d’août désigne aussi la moisson.

[3]  Un vizir du banc était un ministre de haut rang et le mupthi, le chef de l’Islam.

[4] La  présence de celles-ci est incompatible avec les mœurs musulmanes. En pays d’Islam, quand un chef de famille reçoit des visiteurs les femmes ne paraissent pas.

[5] Une sorte de yaourt.

[6] Genèse, II, 15

 

Objectif : le corpus est construit sur une perspective diachronique afin de retracer l’évolution de la perception du travail dans la pensée moderne. Le travail construit-il l’homme ou le détruit-il ? Telle est la problématique qui sous-tend le corpus. Les textes1 et 2, dans une perspective morale,  signalent que le travail permet à l’homme de se construire : il est source d’autonomie  chez  La Fontaine et source de sagesse chez Voltaire. A contrario, le texte de Linhart montre que l’ouvrier évolue  dans un milieu hostile qui menace constamment de le détruire  mais il y reste un homme, du fait même de cette fragilité. Enfin le texte de Vian suggère  que l’homme s’épanouisse ailleurs que dans le labeur aussi doit-il se libérer au maximum de cet esclavage pour pouvoir vivre.

 

Le travail de commentaire (sur la fable de La Fontaine) sera l’occasion de revenir sur une forme argumentative indirecte : l’apologue (tout comme le court extrait de Candide). La correction permettra d’insister sur le registre didactique.

 

Le travail de dissertation, volontairement très général (la littérature sous toutes ses formes), permet de s’interroger sur l’efficacité de la littérature : de l’éveil des consciences  à la subversion, peut-on agir par les mots ?

 

Le travail d’écriture d’invention  doit permettre aux élèves  de réinvestir ce qui a été vu à travers les textes de Céline, Armand et le film de Chaplin.

 

  OU va le travail  humain?

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L’homme jetable (groupement de textes)

L’homme jetable

Texte 1 – Robert Linhart, L’Etabli (1978)

 Le narrateur est employé sur les chaînes de montage des usines Citroën en 1969. Demarcy, retoucheur de portières, ouvrier âgé et  expérimenté, y travaille encore à l’ancienne, comme un artisan, méticuleux, sur un établi qu’il a bricolé lui-même. Il répare efficacement les outils de tous. Jusqu’au jour où la direction lui impose un nouvel établi.

 

    Décidément, pour lui, la journée est impitoyable. Ce matin, déjà, l’arrivée du nouvel engin de fonte et la disparition de son vieil établi. Des années d’habitude, des gestes connus par cœur, d’expérience, bousillées d’un coup. Bon, il a essayé de faire face et de surmonter l’obstacle, en se concentrant, en s’accrochant, en essayant d’inventer à chaque mouvement –contre cette grosse brute de machine sortie tout droit de la tête d’un bureaucrate qui n’a jamais tenu un marteau ou une lime. Mais il avait besoin de toute son attention. Et comment la conserver maintenant que cette troupe de chefs massés autour de lui l’inquiète,  le désarçonne, le trouble ? Il essaye de garder la tête penchée sur son établi, mais ne peut s’empêcher de lancer des petits coups d’œil par en dessous, et de tressaillir à chaque éclat de voix de Bineau[1]. Ses mains sont moins sûres. Il ne sait plus dans quel ordre il doit effectuer les opérations. N’y avait-il pas un bordereau de tâches, là-dessus, dont il a depuis longtemps oublié  le libellé ?  Ce qu’il faisait d’instinct, il essaye de le faire selon les prescriptions, et comme il est prévu en fonction de cette maudite machine. Il s’embrouille. Commence à marteler sans avoir calé les deux côtés –la portière glisse, il s’y reprend, une soudure, une autre (la main qui tient le fer à souder tremble), pour la troisième soudure il faut retourner, il dévisse les étaux, revisse, soude… oui, mais de l’autre côté il aurait fallu marteler… il dévisse, retourne la portière, revisse, martèle, rougit, gêné parce qu’il se rend compte qu’il vient de faire une opération de trop, ce qui n’a pu échapper à son redoutable public : il aurait dû finir un côté, soudure et martelage, avant de retourner la portière et de la recaler, mais il s’est laissé entraîner par ses vieilles habitudes de l’ancien établi quand libre de passer à son gré par-dessus et par-dessous, il faisait d’abord toutes les soudures, puis le ponçage…

    {….} Les cheveux blancs de Demarcy se collent à  son front, emmêlés, il souffle comme un bœuf, des  gouttes de sueur coulent jusque dans son cou, mouillent le col bleu de sa vareuse…

    Tintement sec. D’un geste trop vif, il a laissé tomber son marteau à terre. Vite, se baisse pour le ramass…

    « Mais enfin ! Qu’est-ce que c’est que ce gâchis ? »

    La voix de Bineau, forte et coléreuse, a coupé net le mouvement du vieux. Une seconde, il reste courbé, figé dans sa posture, les doigts à dix centimètres du marteau. Puis il poursuit son geste lentement et se relève penaud, pendant que Monsieur le Directeur explose et postillonne.

    Bineau : « Je vous observe depuis un quart d’heure. Vous faites n’importe quoi ! La meilleure des machines ne sert à rien si celui qui l’utilise ne fait pas l’effort d’en comprendre le fonctionnement et de s’en servir correctement. On vous monte une installation moderne, soigneusement mise au point, et voilà ce que vous en faites ! »

    {…} Quelle crapulerie. Il le sait bien, Gravier, que le nouvel établi ne vaut rien. Il le sait bien, que ce n’est pas la faute du vieux. Antoine, le chef d’équipe, le sait aussi. Tout l’atelier de soudure connaît bien Demarcy, sa précision,  son expérience. Mais personne ne le dira. Le bureau des méthodes a toujours raison. Et on ne tient pas tête à un directeur du niveau de Bineau.

    Le vieux dut avaler  son humiliation jusqu’au bout. Jusqu’à la dernière minute de sa journée de travail. Penché, maladroit et incertain, sur un travail devenu brusquement étrange et redoutable. Avec toute cette bande autour de lui, comme s’ils faisaient passer un examen professionnel à un jeunot, à se pousser du coude, à prendre des mines scandalisées, à faire des remarques. Et Gravier qui faisait semblant de lui apprendre son métier (« Mais non, Demarcy, commencez par la soudure ! »), à lui, le vieux professionnel qui n’avait jamais loupé une pièce depuis des années  et dont tout le monde avait, jusque-là, respecté l’habileté.

 

    Quelques jours plus tard, les trois costauds revinrent chercher le nouvel établi et remirent en place le vieil instrument de travail du vieux. Gravier avait dû négocier cela en douce avec le bureau des méthodes. La Rationalisation reviendrait bien à la charge une autre fois, elle avait le temps.

    Cette nouvelle substitution se fit sans tambours ni trompettes, et personne ne jugea bon de dire un mot à Demarcy sur l’ « incident ». D’ailleurs à aucun moment de toute l’affaire, on  n’avait  fait mine de le consulter.

    Le vieux reprit ses retouches sur son vieil établi, apparemment comme par le passé. Mais il y avait à présent dans ses yeux une sorte de frayeur que je ne lui connaissais pas auparavant. Il paraissait se sentir épié. En sursis. Comme s’il attendait le prochain coup. Il se refermait encore plus sur lui-même, toujours inquiet quand on lui adressait la parole. Parfois il loupait une portière, ce qui ne lui était presque jamais arrivé « avant ».

    Peu après il tomba malade.

 

Texte 2 – Lee Seung-U,   Ici comme ailleurs (2012)

Yu a été muté à Sori par la maison mère qui l’emploie et qui, d’une certaine façon, cherche à se débarrasser de lui. Arrivé là-bas, il doit succéder à Pak, avec qui il ne parvient à entrer en contact. A Sori, tout est étrange ; Yu est dépossédé de tout.  Il a téléphoné  à son directeur, qui n’ a rien voulu  entendre de ses déboires.

   En reprenant sa marche dans la direction prise sans raison particulière, il tente de clarifier le message que le directeur a voulu lui faire passer. « Pour le travail, là-bas, débrouillez-vous entre vous » a-t-il dit.  Et : « Pourquoi me raconter des choses sans intérêt ? » Yu se sent insulté. La compagnie envoie quelqu’un ici, puis l’oublie. Elle oublie même qu’elle a envoyé quelqu’un. Non… peut-être a-t-elle, en réalité, envoyé quelqu’un pour l’oublier. Envoyé quelqu’un d’oubliable. Sori n’est pas un bureau hors du contrôle de la compagnie, c’est un endroit qu’elle a renoncé à gérer. Pak a dû comprendre la situation. Il a dû comprendre qu’il était destiné à vivre une vie d’être inexistant. Mais comment est-il parvenu à apprendre à vivre de la sorte ? A-t-il respecté scrupuleusement son statut d’homme oublié ? S’est-il bien adapté ? Ou bien l’a-t-il supporté avec le vague espoir de voir venir le jour béni où la compagnie le rappellerait après un décrassage de ses dossiers ?

    Même dans ce cas, s’il faut attendre deux ans et demi, c’est trop long. Peut-être sera-t-il rappelé un jour, réfléchit   Yu, mais ce jour-là lui semble trop lointain ; il se demande si, pendant cette attente, il n’oublierait pas ce qu’il attend, et peut-être même qui il est. Tout comme sa société l’aura oublié, ne risque-t-il de s’oublier lui-même ? Il en arrive à cette conclusion : oublier, c’est précisément ce que fait, pour pouvoir vivre, celui qui est oublié. Pas d’autre option pour survivre.

     La compagnie n’a pas rappelé Pak, et Pak en réalité, n’aurait pas répondu à cet appel. N’a-t-il pas disparu ? Yu ressasse cette idée comme pour s’en imprégner. Il a disparu ! Disparu ! Comme la société l’a abandonné, lui aussi a abandonné la société. La société ne se soucie pas de lui, pourquoi se soucierait-il d’elle ?

    Disparaître, cela vous métamorphose un être. La trace de vos coordonnées s’efface dans l’espace et dans le temps. Tel est l’avertissement du manager Pak à son adresse. Yu concentre toute son attention sur ce message. Il y met toutes ses forces parce qu’il doute de tout. Il se souvient de cet aîné à qui on avait promis un poste sans jamais rien lui accorder. Il avait tenu bon pendant un an et demi ; pendant un an et demi, il était venu au bureau tous les jours et y demeurait jusqu’à sept heures le soir pour rentrer avec les autres. Tout le monde sait ce que c’est d’être en attente d’affectation, d’être la sans se voir attribuer la moindre tâche, sans bureau ni garantie de quoi que ce soit : nul n’ignore que c’est là le moyen généralement utilisé pour vous pousser dehors. (Ce que  Yu n’avait pas compris quand la société lui avait proposé une somme rondelette.)  Jusqu’à ce que cet aîné explique à ses collègues autour d’un verre : « Quand j’ai vu qu’on avait poussé mon bureau dansun coin, près des escaliers donnant accès au parking, avec mes dossiers, mes stylos, etc., j’ai mesuré tout le mépris qu’on me portait. J’ai même laissé tomber quelques larmes en me jurant que je récupèrerais ma place quoi qu’il arrive. Venir tous les matins au bureau, guetter l’humeur des autres, tourner en rond devant son bureau vide, quelle humiliation ! Certains jours, je me disais : mieux vaut abandonner, j’arrête là. La société, est-ce si important, après tout ? Puis je me reprenais.  Pas parce que la société était importante, mais parce que moi,  je comptais. Pour me préserver moi ! » Ce qui comptait pour lui, ce n’était pas l’argent. Il aurait laissé sa peau pour sauver son poste de travail. Ses collègues, émus par le pathétique de ses propos, s’étaient mis à le regarder d’un œil différent. Et puis, la société, même si elle avait mis le temps, avait fini par céder en reconnaissant en cet employé quelqu’un d’exceptionnel. Au bout d’un an et  six mois de résistance, il était parvenu à sauver son poste et lui-même. Six mois plus tard, il avait donné sa démission.

    Se faire nommer à Sori, c’est à peu près la même chose que ce qui était arrivé à ce collègue. Yu a été envoyé dans une sorte d’exil. En l’obligeant à déménager, sa société lui a fait subir une expérience encore plus humiliante que celle qui aurait consisté à lui enlever sa table de travail.

Texte 3 – Nathalie Kuperman, Nous étions des êtres vivants (2010)

Une entreprise de presse  a été rachetée. La restructuration entraîne des licenciements, dont la perspective s’affiche clairement à la fin du livre.

    Notre cœur bat comme un fou. Nous avons une conscience soudaine et cauchemardesque de la précarité de nos existences dans l’entreprise. On nous  a annoncé, par chefs interposés, un plan de restructuration qui impliquera des licenciements. Neuf départs demain, et neuf seulement pour éviter le plan social qui se déclenche à partir de dix, ce qui oblige l’employeur à quelques ajustements pour protéger les salariés licenciés. Nous comprenons que dans trois  mois, pour respecter le délai légal, une grappe de neuf autres personnes sera désignée. Un journal qui était tenu par un rédacteur en chef,  un secrétaire de rédaction et un maquettiste sera « managé » dans son ensemble par un chef de projet chargé d’ « externaliser » les tâches. Les journaux deviendront des produits au même titre que des yaourts.

     {…}

    Nous sommes sortis un à un de la salle, le visage fermé. Nous ne savions pas quelle direction prendre. Nous ne voulions pas rentrer sagement dans nos box. Nous ne pouvions plus rien faire de nos jambes, de nos mains, de nos cerveaux. Nous avancions en tâtonnant, et la présence de celui qui était devant rassurait celui qui le suivait. Nous voulions profiter le plus longtemps possible d’être un groupe, une entité, un ensemble. Nous ignorions encore la douleur d’être seul devant les questionnaires du pôle emploi, à devoir prouver que nous recherchions un travail d’une façon hardie. Nous allions vite devenir coupables de n’avoir pas su conserver notre poste. Nous devrions expliquer à nos amis comment notre société avait été condamnée du jour où elle avait été vendue.  Les gens feraient mine de comprendre ; en ce moment, c’est partout pareil…  Et pourtant, non, ce n’est pas partout pareil. C’est partout singulier, c’est partout une seule personne à la fois qui soudain perd pied, hallucine, voudrait que ce soit un rêve, mais, par pitié, pas elle, oh non, pas elle. Partout c’est elle, qui espérait une récompense parce qu’elle s’était tenue sage, avait fait tout ce qu’elle pouvait, avait mis des bouchées doubles comme on le lui avait demandé (ah, les bouchées doubles !), toléré les humiliations et accepté d’humilier à son tour pour sauver une place qu’elle a de toute façon perdue.

 

Texte 4 – Bernard Lavilliers, « Les mains d’or » (album Arrêt sur image – 2001)

 

Un grand soleil noir tourne sur la vallée
Cheminées muettes – portails verrouillés
Wagons immobiles – tours abandonnées
Plus de flamme orange dans le ciel mouillé

On dirait – la nuit – de vieux châteaux forts
Bouffés par les ronces – le gel et la mort
Un grand vent glacial fait grincer les dents
Monstre de métal qui va dérivant

J’voudrais travailler encore – travailler encore
Forger l’acier rouge avec mes mains d’or
Travailler encore – travailler encore
Acier rouge et mains d’or

J’ai passé ma vie là – dans ce laminoir
Mes poumons – mon sang et mes colères noires
Horizons barrés là – les soleils très rares
Comme une tranchée rouge saignée  sur l’espoir

On dirait – le soir – des navires de guerre
Battus par les vagues – rongés par la mer
Tombés sur le flanc – giflés des marées
Vaincus par l’argent – les monstres d’acier

J’voudrais travailler encore – travailler encore
Forger l’acier rouge avec mes mains d’or
Travailler encore – travailler encore
Acier rouge et mains d’or

J’peux plus exister là
J’peux plus habiter là
Je sers plus à rien – moi
Y’a plus rien à faire
Quand je fais plus rien – moi
Je coûte moins cher – moi
Que quand je travaillais – moi
D’après les experts

J’me tuais à produire
Pour gagner des clous
C’est moi qui délire
Ou qui deviens fou
J’peux plus exister là
J’peux plus habiter là
Je sers plus à rien – moi
Y’a plus rien à faire

Je voudrais travailler encore – travailler encore
Forger l’acier rouge avec mes mains d’or
Travailler encore – travailler encore
Acier rouge et mains d’or…

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[1] Un  membre haut placé dans la hiérarchie Citroën

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Philippe Claudel : L’Enquête

Lecture analytique n°4

L’Enquête

Le roman de Claudel est une fable moderne sur le monde du travail. L’Enquêteur est  appelé dans une entreprise pour étudier la vague de suicides qui la frappe. Jamais il ne parviendra à remplir sa mission, plongé dans un monde  angoissant et absurde, digne de Kafka. Il rencontre tour à tour le Veilleur, le Guide, le Policier, le Chef de service, le Responsable, le Psychologue… sous l’œil inquisiteur du portrait du Fondateur, omniprésent. Dans cet univers sous haute surveillance, totalement déshumanisé, il est isolé, malmené, broyé, puis finalement enfermé dans un container dont il parvient étrangement à sortir. Il est entouré de  centaines d’autres containers d’où sortent les cris d’hommes désespérés.  Il rencontre alors l’Ombre du fondateur : un vieux corps sans âge, ridé, tenant un balai, avec qui la discussion s’engage.

 

« … vous êtes le premier homme.

–          Le Premier Homme… ?

–          Oui, le premier à sortir d’une de ces boîtes. Personne n’a encore eu votre chance. Mais ne

vous leurrez pas, vous ne jouissez que d’un bref sursis. Vous finirez comme les autres. Etre dehors ou dedans ne change rien. C’est la particularité de ce navire. Tous dedans, d’une façon ou d’une autre. »

L’Ombre donna une grande claque sur le container, ce qui ne provoqua aucune réaction à l’intérieur.

« Vous voyez ? C’est fini pour lui. Plus de réaction. Il a dû rendre l’âme. Ces box sont s bien conçus et si bien fermés qu’il est inutile d’essayer de les ouvrir. J’ai tenté souvent de le faire, par humanité sans doute, ou pour rompre mon ennui. J’y ai renoncé après m’être cassé trois  ongles  et foulé le poignet. »

L’ombre joignit le geste à la parole et se massa l’avant-bras comme si l’évocation de l’incident avait réveillé la douleur.

« Ce qui est curieux, c’est de constater que le  malheur est un poids qui devient finalement assez léger à mesure qu’il s’accentue ou prolifère. Voir mourir sous ses yeux un homme est très déplaisant. Presque insoutenable. En voir ou en entendre mourir des millions dilue l’atrocité et la compassion. On se surprend assez vite à ne plus ressentir grand-chose. Le nombre est l’ennemi de l’émotion. Qui donc a jamais ressenti de la souffrance en piétinant une fourmilière, vous pouvez me le dire ? Personne. Je leur parle parfois, pour leur tenir compagnie quand je n’ai rien de mieux à faire, mais ils sont pénibles… Ils voudraient que je me mette à leur place alors qu’aucun ne songe à se mettre une seule fois à la mienne. Je veux les réconforter, mais ils ne savent que se plaindre. Certains ont encore des téléphones d’urgence, mais ils épuisent leur crédit ou leur batterie dans les méandres de standards automatiques qui jamais ne réussissent à les mettre en contact avec la personne qu’ils souhaitent joindre. Et puis que pourrait-elle faire ? Que pourrions-nous faire pour eux ? Rien, je vous l’ai déjà dit. Après tout, ce n’est pas moi qui les ai mis là où ils sont. Et si ma responsabilité a été engagée, c’était il y a si longtemps qu’il y a désormais prescription. »

{…}

« Fort heureusement,  reprit l’Ombre, ces pauvres créatures ne durent jamais très longtemps. Au tout début, elles hurlent comme des cochons qu’on égorgerait, et puis très vite elles faiblissent, et finissent par se taire. A tout jamais. Le grand silence. Pourquoi vouloir s’en prendre à moi ? Drôle d’idée ! Qu’y puis-je ? Comme si j’y étais pour quelque chose ! Chacun son destin. Vous croyez que c’est facile de balayer ici ? On a ce qu’on mérite. Il n’y a pas d’innocents. Vous ne croyez pas ?

–          Je ne sais pas… Je ne sais plus… articula l’Enquêteur. Où sommes-nous ? En Enfer ?

L’Ombre  faillit s’étrangler et partit d’un grand rire qui se termina par une atroce quinte de toux. Il se racla la gorge, cracha au loin à trois reprises.

« En Enfer ! Comme vous y allez ! Vous aimez les explications simplistes, n’est-ce pas ? Je ne pense pas que cela fonctionne encore aujourd’hui. Le monde est trop complexe. Les vieilles ficelles sont usées. Et puis les hommes ne sont plus des enfants auxquels on peut encore raconter des sornettes. Non, vous êtes tout bonnement ici dans ne sorte de zone de transit de l’Entreprise, qui s’est transformée au fil du temps en une grande décharge à ciel ouvert. On entasse ici ce qu’on ne peut mettre ailleurs, ce qui est hors d’usage, des choses, des objets, des pourritures, dont on ne sait que faire. Je pourrais vous montrer des collines entières couvertes de prothèses, de jambes de bois, de pansements sales, de déchets pharmaceutiques, des vallées encombrées de cadavres de téléphones cellulaires,  d’ordinateurs, de circuits imprimés, de silicium, des lacs chargés jusqu’à la rive de fréon, de boues toxiques et d’acides, des failles géologiques rebouchées à grandes pelletées de matières radio-actives, de sables bitumeux, sans compter des fleuves charriant des millions d’hectolitres d’huile de vidange, de fumier chimique, de dissolvants, de pesticides, des forêts dont les arbres sont des faisceaux de ferrailles assemblées et rouillées, des structures métalliques ornées de béton armé, de plastique fondu  et amalgamé à des milliers de tonnes de seringues usagées qui finissent par ressembler à des ramures défoliées, et j’en oublie. Que voulez-vous que je fasse, je ne peux pas tout nettoyer à leur place, je n’ai que cela ! »

L’Ombre ponctua ses mots en agitant son balai.

« Ici, ce n’est rien encore, poursuivit-il. C’est un nouveau terrain. Un paysage en devenir qui attend les artistes qui pourront un jour ou l’autre le célébrer et les promeneurs qui, tôt ou tard,  viendront le dimanche en famille pour y pique-niquer. On commence seulement. Je n’ai vu arriver que des containers pour l’instant, des préfabriqués construits à la hâte en fonction  des besoins. L’Entreprise se développe si vite. On se demande qui la dirige car je ne parviens pas à comprendre sa stratégie. Elle a besoin de nouveaux locaux, mais elle s’en débarrasse tout aussi vite car elle est dans le même temps en perpétuelle restructuration, et il y a parfois des erreurs regrettables dont certains sont victimes. Les cadences imposées sont telles que les Transporteurs chargent les containers alors même que des hommes y travaillent encore. Pas de chance pour eux, mais ils n’avaient qu’à en sortir à temps. La distraction ou le zèle se paient cher aujourd’hui. Les heures supplémentaires creusent les tombes de ceux qui les accumulent. L’époque des utopistes est révolue. On pourra toujours acheter quelques rêves, plus tard, à crédit, chez des antiquaires, dans des collections ou des brocantes de village, mais dans quel but ? Les montrer aux enfants ? Y aura-t-il encore des enfants ? Avez-vous des enfants ? Vous êtes-vous reproduit ? L’homme est de nos jours une quantité négligeable, une espèce secondaire douée pour le désastre. Il n’est plus désormais qu’un risque à courir. »

Philippe Claudel, L’Enquête (2010)

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Yves Pagès : Petites natures mortes au travail

Document complémentaire

Harcèlement textuel

 

   La dactylo des sixties portait lunettes et mini-jupes. Du moins, à tort ou à raison, l’a-t-on fantasmée telle :  obéissant au doigt et à l’œil derrière sa machine à écrire et, par extension, soumise à tous les aléas. Vernie des ongles et pleurant parfois du Rimmel. Sainte secrétaire de l’ère précédente, d’avant l’ordinateur, si inutile qu’elle ne sert plus désormais que d’alibi érotique. En comprimant ce personnel, on a dégonflé bien des poupées et perdu tant d’occasions d’adultère qu’on en viendrait presque à maudire ce puritanisme bureautique dévolu aux plaisirs solitaires de l’écran. La division génitale des tâches n’avait-elle pas ses à-côtés récréatifs ? A sens unique, soit. Pour ses employeurs, il est des gains de productivité plus frustrants que d’autres.

    Fini, donc, le harcèlement textuel. Et après ? Quelle utopie nous guette ? Tous clavistes unisexes, libres de se scanner la tête en direct. Chacun oeuvrant pour soi par soi, et se tapant sans rechigner les corvées tapuscrites.  Tant mieux. L’abolition du secrétariat, qui s’en plaindra ?

    Trêve de béatitude post-moderne. Les dactylos sont de retour, mais à distance, corvéables par de nouvelles  vertus télématiques. On les a délocalisées aux confins d’un arrière-monde en développement : de Madagascar au Maroc en passant par l’Île Maurice. Quand on n’a pas choisi de confier la tâche aux innombrables détenues de Chine populaire  ou de Corée du Nord. Pour preuve, ces milliers de modes d’empois, contrats d’assurances et rééditions littéraires saisis au kilomètre par des demoiselles qu’en France métropolitaine on qualifierait hâtivement d’analphabètes.

    Déjà, les éditeurs y trouvent leur compte : en moyenne, ces clavistes, souvent mineures et peu francophones, conjurent mieux les pièges  orthographiques que les plus éduquées de leurs pareilles : une bourde tous les mille signes, en moyenne. Et dix fois moins encore après double saisie. Comme quoi, la reconnaissance pavlovienne de chaque caractère déjoue les erreurs d’une transcription plus réfléchie, sujette aux faux-amis, mots-valises et lapsus jubilatoires. Ces néo-dactylos indigènes, sans faux-cils ni lipstick, faute d’avoir,  pour nous, un visage à farder, saisissent manuellement l’au-delà du Progrès : un illettrisme requalifié. Existe-t-il cependant d’autres façons d’apprendre à taper à la machine que de se confronter à un clavier aveugle ?

     A quatorze ans, j’ai fait pareil, couvrant d’un bout de sparadrap les lettres et chiffres inscrits sur chaque touche. La meilleure méthode qui soit. Une heure de pianotement par jour et quelques crampes entre phalanges, phalangettes phalangines. Deux mois plus tard, mes dix doigts se pliaient à l’unisson aux folles cadences de la frappe réflexe. C’était la seule façon de soigner ma dyslexie graphique et une allergie précoce aux dictées en lignes  droites. J’ai même fini par y prendre goût, sans décoller pour autant les 46 caches de sparadrap de mon clavier.

    Mais les petites mains en sous-traitance sont vouées à d’autres écritures automatiques. A saisir machinalement ce que leur conscience, les yeux comme bandés,  n’aura jamais l’occasion de saisir. Du moment qu’elles demeurent à leur juste place, dans un seul tiers du monde, entre signifiant et signifié. Qui croisera jamais le regard d’une de ces assises perpétuelles, recopiant à tâtons, fatigue rétinienne oblige, « ton nom, liberté », parce qu’un littérateur monotone a pondu ces mots-là au gré de l’académisme poétique des années 40 : « Liberté, j’écris ton nom » ? Qui devinera dans un recoin du blanc de l’œil le reflet illisible d ce mot : « Liberté », une ligne sur deux, « J’écris ton nom, liberté », dix pages d’affilée. Sur l’écran, à n’importe quelle heure d’aujourd’hui, une inconnue aligne tant de fois de suite ton nom, « liberté », « liberté », « liberté »… sans faute. Et, à raison de cinquante centimes le feuillet de 1500 signes, il  lui faudra taper, à la virgule près, 428 fois ton nom, l-i-b-e-r-t-é, pour empocher un franc symbolique.

 

Yves Pagès, Petites natures mortes au travail  (2000)

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Thierry Beintingel : Retour aux mots sauvages

lecture analytique n°3

Retour aux mots sauvages

Le protagoniste, ancien électricien dans une entreprise de Télécommunication a perdu son emploi et se retrouve téléconseiller sur les plateformes téléphoniques de la même société.  Son nom d’opérateur est Eric .  Un message préenregistré décline son identité aux clients qui téléphonent, à qui il répond ensuite par des phrases toutes faites, dictées par l’ordinateur. Il vit très mal cette situation et un jour retourne aux « mots sauvages ».

    Il y a eu ce type un jour, celui à qui il avait tenté de vendre un contrat Optimum confort, mais vendre n’est pas son fort et le gars voulait juste qu’on lui rétablisse la formule de base sans laquelle son téléphone devenait inopérant, il avait payé, en était sûr, mais on avait égaré son versement, certains ont de ces histoires. Il avait noté le numéro sur le carnet (encre bleue du stylo à quatre couleurs = client à rappeler) et maintenant, à la pause, seul dans la cafétéria  avec le café posé sur la table de Formica, il a ce type sur son téléphone portable, sa voix étrange[1] comme essoufflée, une sorte de rebond métallique après chaque expression, un étrange couinement entre les mots d’une phrase hachée :  Très heureux… que vous me rappeliez… très important pour moi… Il raccroche, mal à l’aise malgré les compliments du client à l’autre bout, mais quelques jours plus tard, de nouveau sur son écran à la page d’accueil en couplage téléphonie-informatique, il reconnaît les coordonnées du client en même temps que sa voix de robot asthmatique : Bonjour… je suis client chez vous… et mon téléphone est toujours coupé. Il aurait fallu répondre les phrases prédigérées que le logiciel élabore : Nous allons regarder ça ensemble, vous êtes bien monsieur / madame / mademoiselle X ? Vous habitez bien numéro / nom de rue / ville ? Au lieu de quoi, il apostrophe le client, lui dit qu’il l’a reconnu, qu’il connaît bien son problème, qu’il ne comprend pas ce qui a pu se passer mais que c’est une chance de tomber sur lui, l’opérateur Eric, dans l’affectation aléatoire des appels vers deux cents téléconseillers au moins. Il répète : Une chance sur deux cents, peut-être plus, une chance sur cinq cents comme à la loterie. Et l’autre de sa voix d’outre-tombe qui répond : oh moi… vous savez… la chance… Inconscient d’une telle veine, le type, pas obligé de réexpliquer tout. Et Eric, votre opérateur, pour la première fois qu’il a envie de se nommer ainsi et que le foutu prénom choisi par hasard serve au moins une fois, Eric, donc, qui vérifie, qui dit, qui parle, qui discute, persuade, vole d’écran en écran dans une logorrhée[2] incroyable (Maryse[3] le regarde, éberluée) et qui conclut, dépité, que non le paiement n’est  toujours pas arrivé. Et l’autre qui insiste : Mais je vous dis… que c’est sûr… Je peux vous donner… le numéro du chèque, et l’Eric tout neuf, enfin fier de son prénom –va savoir pourquoi− qui apostrophe maintenant Maryse, retirant son casque : Dis-moi, comment forcer une transaction, mon client a payé mais son paiement n’apparaît pas et bloque le rétablissement de son téléphone, puis reprenant son micro, affirmant à son étrange client à voix de casserole : Ne quittez pas, je me renseigne. Et Maryse, fronçant les sourcils : Mais tu crois vraiment que… ? Et lui, de plus en plus affirmatif, enfiévré, électrisé, galvanisé par son prénom d’opérateur à goût de fer, Eric, preux chevalier  des ondes, Eric, sauveur du client en détresse. Eric, qui sait trouver les mots qui persuadent. Et Maryse qui indique comment faire. Et, de suite, Eric qui effectue la manœuvre logicielle. Et qui reprend le client, explique que tout est arrangé. Et la soufflerie d’acier à l’autre bout, confondue en paroles souffreteuses, en mots étiolés, en mercis épuisés. Ah, être Eric dans la signification germanique de ce prénom de maître, de chef, de puissant, porté par plus de trente trois norvégiens, danois et suédois, un dieu presque… Maryse le regarde après son appel, qui  triture son stylo à quatre couleurs, les yeux perdus dans le vague, un bref instant, quelques secondes à peine, et déjà la voix préenregistrée d’un Eric de pacotille s’achemine à son insu : X (nom de l’entreprise), bonjour, Eric, que puis-je pour votre service ?

Thierry Beintingel, Retour aux mots sauvages (chapitre 2O) – 2010

Document complémentaire

Le chef va droit au but : il lui tend une page écran sur laquelle sont imprimées les coordonnées d’un client. L’opérateur Eric reconnaît celles du type à la drôle de voix métallique. Il paraît qu’il n’a jamais payé son abonnement et la bidouille logicielle pour maintenir son abonnement était une faute sans vérification préalable. Il a fallu rectifier, ce sont des manœuvres compliquées qui nous coûtent encore plus d’argent. Le chef dit cela d’une voix atone et ennuyée. Que répondre ? Tout est vrai. Mais c’est le faux qui a amené cette histoire. Comment l’expliquer ? Que l’opérateur Eric a pété les plombs, usurpateur d’un faux prénom, tributaire de conversations enchaînées à la suite comme autant de mirages auditifs, spectateur d’écrans virtuels qui s’effacent au fur et à mesure sans possibilité de les retenir, tout un monde faux, approximatif, apocryphe[4]. Que toute cette dissimulation, hypocrisie, duplicité et provoquée par ces séries de dialogues improbables et normés, soumis à l’aléatoire d’un logiciel qui décide pour vous des mots à dire. Est ainsi tronquée la perception d’une vraie vie. Un peu comme si le boulanger tendait un hologramme de baguette à une voix synthétique dans une boutique qui n’existerait pas. Et que cela finit par vous taper sur le système à force de pas d’existence tangible, palpable,  concrète, physique, matérielle, authentique, véritable, sûre, sincère, loyale, fidèle, convenable, apparent et manifeste.  (chapitre 25)


[1] La suite du roman apprendra que cet homme est paralysé, cloué au lit, d’où cette voix étrange.

[2] Logorrhée :  discours, propos interminables et désorganisés

[3] Sa collègue de travail

[4] Apocryphe : se dit d’un texte faussement attribué à un auteur (antonyme : authentique)

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Louis Armand : Simples propos

Lecture analytique n°2

La Machine au service de l’homme

La machine dont le rôle était de libérer l’homme ne tend-elle pas, aujourd’hui à l’asservir ? Question grave : Louis Armand essaie d’y répondre avec la prudence du technicien à  qui  ses fonctions ont permis de se pencher sur les problèmes que pose le machinisme moderne.

    Les expressions « métier moderne », « métier technique », évoquent en bien des esprits l’image d’un ouvrier rivé à une machine-outil dont il se borne à surveiller la marche à moins qu’ils n’accomplissent un geste unique, mécaniquement. On en conclut que ceux qui ont inventé ce genre de travail étaient des impitoyables, insensibles à toute culture : ils ont soumis l’homme à un esclavage de plus, celui de la machine. Bien au contraire, répondent les techniciens, c’est la machine qui a libéré l’esclave, car elle permet à l’homme d’échapper à mille servitudes : la preuve en est que, pour chiffrer l’énergie dont dispose aujourd’hui l’homme grâce à la machine, on a introduit la notion d’ « esclaves mécaniques » dont le nombre caractérise précisément le niveau de civilisation matérielle d’un pays.

    Ni l’une ni l’autre de ces deux thèses ne sont tout à fait vraies ni tout à fait fausses. Mais les statistiques montrent que c’est la seconde qui contient la plus grande part de vérité. La technique a créé beaucoup moins de métiers ingrats qu’elle n’a supprimé de métiers odieux, ceux par exemple où l’homme n’était utilisé que pour sa force musculaire. Ces métiers disparaissent ou s’humanisent. Avant de condamner la machine et de lui reprocher les sujétions qu’elle impose –il y en a sans doute et elles sont lourdes− n’oublions pas qu’elle a mis fin, par exemple, à la chiourme des galères et considérablement amélioré les conditions des mineurs de fond ou celle des chauffeurs de locomotives. Chaque fois que le rendement du travail n’est plus fonction simple de la peine humaine, mais que s’interpose entre eux un auxiliaire, la machine, il y a progrès social,  place faite pour la culture.

    Si nous essayons d’approfondir quelque peu cette notion, nous constatons par mille exemples, que pour qui a peiné dans la chaîne du travail comme un simple maillon, devenir soudain le maître de la puissance disciplinée qui se substitue à son effort est une délivrance, l’accès à un monde supérieur. Le travailleur manuel éprouve non seulement une grande satisfaction professionnelle, mais un contentement intime à conduire des moteurs pour faire l’ouvrage que, naguère encore, il accomplissait à la main. Quelle promotion pour le mineur de manœuvrer une haveuse au fond de la mine, en se souvenant que son père, ou lui-même à ses débuts, attaquait encore le charbon au pic !

    Le progrès social pour un manuel ne réside pas uniquement dans l’amélioration de ses conditions de vie, de son salaire, mais se manifeste à ses yeux d’une façon non moins heureuse le jour où il n’est plus le dernier dans la hiérarchie du travail et vient à commander des chevaux-vapeur ou des chevaux électriques.

    L’ouvrier n’est plus alors, en effet, le fantassin du chantier, et, si l’on ose poursuivre cette comparaison militaire, on peut dire qu’il éprouve quelques-uns des sentiments qui composaient la mentalité des cavaliers au temps des chevaux.

    La machine n’éveille,  bien évidemment,  de tels sentiments que chez ceux dont elle adoucit les conditions de travail, en même temps qu’elle les élève. Le conducteur de poids lourd, qui n’a jamais poussé la brouette, ne voit trop souvent dans son camion que l’instrument d’une forme d’esclavage  nouvelle, ce qui est un tort ; on ne saurait, d’ailleurs, mieux l’en convaincre qu’en s’attachant à améliorer son sort de routier.

 

Louis Armand, Simples propos

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Louis-Ferdinand Céline : Voyage au bout de la nuit

lecture analytique n°1

Travail à la chaîne

Réformé pour troubles nerveux après avoir été blessé durant la guerre 14-18, Bardamu, âgé d’une vingtaine d’années, part pour l’Amérique. Il réussit à se faire engager à Détroit, dans les usines Ford.

   Nous fûmes répartis en files traînardes, par groupes hésitants en renfort vers ces endroits d’où nous arrivaient les fracas énormes de la mécanique. Tout tremblait dans l’immense édifice  et soi-même des pieds aux oreilles  possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré du haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. A mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine.

    On résiste tout de même, on a du mal à se dégoûter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu’on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ça ne peut plus finir.  Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensemble !

    Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines vous écoeurent, à leur passer les boulons calibrés et des boulons encore, au lieu d’en finir une fois pour toutes, avec cette odeur d’huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge. C’est pas la honte qui leur fait baisser la tête. On cède au bruit comme on cède à la guerre . On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C’est fini. Partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche, c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi comme du fer et n’a plus de goût dans la pensée.  On est devenu salement vieux d’un seul coup.

    Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle était, c’est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la règle.

    J’essayai de lui parler au contremaître à l’oreille, il a grogné comme un cochon en réponse et par les gestes seulement il m’a montré, bien patient,  la très simple manœuvre que je devais accomplir désormais pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste de temps comme ceux d’ici s’en iraient à passer des petites chevilles à l’aveugle d’à côté qui les calibrait, lui, depuis des années, les chevilles, les mêmes.

 

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932)

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Hannah Arendt : L’esclavage dans l’Antiquité

Document complémentaire

Hannah Arendt – L’esclavage dans l’Antiquité

      Dire que le travail et l’artisanat étaient méprisés dans l’antiquité parce qu’ils étaient réservés aux esclaves, c’est un préjugé des historiens modernes. Les Anciens faisaient le raisonnement inverse : ils jugeaient qu’il fallait avoir des esclaves à cause de la nature servile de toutes les occupations qui pourvoyaient aux besoins de la vie. C’est même par ces motifs que l’on défendait et justifiait l’institution de l’esclavage. Travailler, c’était l’asservissement à la nécessité, et cet asservissement était inhérent aux conditions de la vie humaine. Les hommes étant soumis aux nécessités de la vie ne pouvaient se libérer qu’en dominant ceux qu’ils soumettaient de force à la nécessité. La dégradation de l’esclave était un coup du sort, un sort pire que la mort, car il provoquait une métamorphose qui changeait l’homme en un être proche des animaux domestiques. C’est pourquoi si le statut de l’esclave se modifiait, par exemple par la manumission, ou si un changement des conditions politiques générales élevait certaines occupations au rang d’affaires publiques, la « nature » – de l’esclave changeait automatiquement.

     L’institution de l’esclavage dans l’antiquité, au début du moins, ne fut ni un moyen de se procurer de la main-d’œuvre à bon marché ni un instrument d’exploitation en vue de faire des bénéfices ; ce fut plutôt une tentative pour éliminer des conditions de la vie le travail. Ce que les hommes partagent avec les autres animaux, on ne le considérait pas comme humain. (C’était d’ailleurs aussi la raison de la théorie grecque, si mal comprise, de la nature non humaine de l’esclave. Aristote, qui exposa si explicitement cette théorie et qui, sur son lit de mort, libéra ses esclaves, était sans doute moins inconséquent que les modernes n’ont tendance à le croire. Il ne niait pas que l’esclave fût capable d’être humain ; il refusait de donner le nom d’ «hommes » aux membres de l’espèce humaine tant qu’ils étaient totalement soumis à la nécessité.) Et il est vrai que l’emploi du mot « animal » dans le concept d’animal laborans, par opposition à l’emploi très discutable du même mot dans l’expression animal rationale, est pleinement justifié. L’animal laborans n’est, en effet, qu’une espèce, la plus haute si l’on veut, parmi les espèces animales qui peuplent la terre.

Condition de l’homme moderne, Paris, Ed. Calmann-Lévy, 1961, pp 95-96

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Où va le travail humain ?

 

 

                         QUE RÉVÈLE LE MONDE DU TRAVAIL SUR NOTRE CONDITION HUMAINE?

Véronique Perrin
Lycée Voltaire, Wingles

 

Niveau :  lycée, 1ère générale

 

Objet d’étude, thème du programme : la question de l’homme dans les genres de l’argumentation (du XVIIème S.  à  nos jours)

    Au sortir de la guerre,  de Gaulle s’interrogeait :  de nos jours, le machinisme domine l’univers. De là s’élève le grand débat du siècle : la classe ouvrière sera-t-elle victime ou bénéficiaire du progrès mécanique en cours ?[1]  La parcellisation du travail due à l’application du taylorisme vidait un certain nombre de métiers de leur sens, entraînant une véritable crise d’identité.  De nos jours, les nouvelles technologies de communication ont à nouveau révolutionné le monde du travail de sorte que la question du Général reste d’actualité. De plus la tyrannie de l’objectif à atteindre au sein des entreprises, l’éloge de la flexibilité  et la menace de la précarité renforcent l’interrogation sur la place de l’Homme au sein de l’économie. La voix dissidente de nombreux artistes s’élève pour éveiller les consciences. Comment  fait-elle perdurer les valeurs humanistes ?

 [1]  Charles de Gaulle, Mémoires de guerre,  Tome III,  Le Salut , chapitre « L’Ordre »

Objectifs généraux du projet :

lecture

–     Quatre lectures analytiques  :L.F. Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) ;L. Armand, Simples propos (1968) ;

Th. Beinstingel, Retour aux mots sauvages (2010) ;

Ph. Claudel, L’Enquête (2010)

Documents complémentaires pris dans l’anthologie humaniste :  Steinbeck, Les Raisins de la colère (1939) cité  (P.212 )

–  Cù Huy Cân, « empreinte fossile de feuille »,

– Marées de la Mer orientale cité (P.37) ;

– LeeSeung-U, Ici comme ailleurs (2012) cité (P.258)

Autres documents complémentaires :

– La Fontaine, Fables (1690) ;

– Voltaire, Candide (1759) ;

– Vian, L’Ecume des jours (1947) ;

– H. Arendt, Condition de l’homme moderne (1961) ;

– Linhart, L’Etabli (1978) ;

– Pagès, « Harcèlement textuel », in Petites natures mortes au travail (2000) ;

Kuperman, Nous étions des êtres vivants (2010)

Lecture cursive : (choix possible)

Linhart, L’Etabli (1978) ; Westlake, Le Couperet (1997) ;  Kuperman, Nous étions des êtres vivants (2010) ; Claudel, L’Enquête (2010)

 

 

Culture humaniste / histoire des arts

–     Lecture d’image

  • Extrait du film Les Temps modernes, de Chaplin (1936)
  • Image fixe : analyse du photogramme extrait du film de Tati, reproduite dans l’anthologie (P.292)

–     La chanson, un autre mode d’expression artistique :

  • Bernard Lavilliers, « Les mains d’or »
  • Choix personnels des élèves

 

Types d’écrits travaillés

–      Ecrit  fonctionnel : appropriation personnelle des activités n°1 et n°2 par un écrit individuel répondant à la question : Les deux auteurs (Céline et Chaplin) portent-ils le même regard sur la condition ouvrière ? Justifiez votre réponse en vous appuyant précisément sur les œuvres.

–      Ecrit fictionnel : (à partir du texte de Linhart, permettant de réinvestir l’étude des conditions de travail à l’usine menée à partir de Céline, Chaplin, et Armand) Le narrateur  raconte  à une personne extérieure à l’usine,  un épisode de sa carrière où il a eu particulièrement peur, sur la chaîne de montage. Imaginez son récit, au cours duquel l’interlocuteur pourra brièvement intervenir.

–      Commentaire de texte : commentaire littéraire d’une fable de La Fontaine, « Le Laboureur et ses enfants »

–      Dissertation :  Pensez-vous que la littérature puisse être utile à l’homme pour améliorer sa condition ?  (ou)  La littérature nous aide-t-elle à apprendre notre « métier d’homme » ?

Langue

–     Etymologie du mot « travail »  (détour par l’Antiquité )

Oral

–     Entraînement à l’oral de l’E.A.F. (adaptation de plan d’analyse à la problématique de l’examinateur et exposé oral) ;-     Argumentation à l’oral : participation à un débat ; défendre un choix personnel à l’oral

Utilisation des TICE :

Utilisation du TNI (ou de la salle pupitre)  au service des lectures des textes

Présentation synthétique de la séquence :   

 

Plan synthétique de la séquence, Où va le travail humain ?

 

Séance d’ introduction

Lancement de la séquence : situer la notion de travail dans une perspective  diachronique :

Travail et esclavage sont liés originellement (texte d’ Hannah  Arendt,  Condition de l’homme moderne) : va-t-on vers un nouvel esclavage ?

1/ De la mécanisation à la déshumanisation

 

Séance 1 : Etude comparée de deux textes (pour élaborer la lecture analytique n°1)

                    Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) – Steinbeck, Les Raisins de la colère (1939)

Objectifs : mener une lecture analytique ; appréhender la singularité d’un texte tout en le replaçant dans un contexte socio-historique.

 Production : Formulation d’une problématique et élaboration d’un plan d’analyse en fonction de celle-ci. Entraînement à l’oral.

 Prolongement : lecture de Cù Huy Cân, « empreinte fossile de feuille », Marées de la Mer orientale , cité dans Itinéraires humanistes (P.37)

Séance 2 : Lecture d’image : Charlie Chaplin, Les Temps modernes (1936)

Objectifs : savoir  identifier les techniques cinématographiques  permettant de cerner  la thèse de  l’auteur – travailler sur le burlesque

Production :  écrit fonctionnel  (afin de garder  une trace  écrite personnelle de l’activité orale tout en mettant en relation les documents entre eux.

 

Séance 3 :  lecture analytique n°2

Louis Armand, Simples propos (1968)

Objectif : Etudier une page d’essai. Repérer les étapes du discours argumentatif (thèse, arguments ,exemples)

Production : débat oral (démarche délibérative à partir des thèses opposées de Céline et d’Armand)

2/ Place du travailleur dans un univers virtuel ?

 

Séance 4 : lecture analytique n°3

Thierry Beinstingel, Retour aux mots sauvages (2010)

Objectif : mener une lecture analytique

Prolongement :étude d’un  document complémentaire :  Pagès, « harcèlement textuel », Petites  natures mortes au travail (2000)

Objectifs : Lire un portrait argumentatif-  travailler le registre polémique

Séance 5 : lecture analytique n°4 

Philippe Claudel, L’Enquête (2010)

Objectifs : mener une lecture analytique ; l’apologue au service de l’argumentation

Séance 6 : documents complémentaires (prolongement à la L.A. n°4)  

 Corpus : « l’homme jetable » : Nathalie Kuperman, « Nous étions des êtres vivants » ;

Bernard Lavilliers, « Les mains d’or »

Recherche : les élèves doivent présenter une chanson  sur le monde du travail et défendre leur choix

Evaluation fin de séquence : devoir type-bac  

Corpus : La Fontaine, « Le Laboureur et ses enfants », Fables,  1690  ; Voltaire

Candide , 1759  ; Vian, L’Ecume des jours , 1947 ; Linhart,  L’Etabli ,  1978

Objectif : Question sur corpus + travail d’écriture (commentaire littéraire ou dissertation ou écriture d’invention)

 

Détail des séances proposées :

En guise d’introduction

Séance de lexique  : Partir du mot « travail »

Demander aux élèves quels mots s’y  connotent selon eux. La représentation mentale qu’ils s’en font pourra alors être confrontée à l’étymologie du mot français (tripalium – instrument de torture) et à la représentation  des Anciens, via un texte d’Hannah Arendt (Document 1) : le travail est dévalorisé ; il ne convient pas à l’homme libre, qui se décharge sur les esclaves des aspects matériels de l’existence ,  pour pouvoir se consacrer à des tâches plus nobles et ainsi refuser d’être soumis à la nécessité comme un vulgaire animal. Ce refus du travail fonde donc son humanité.

La notion de travail est donc originellement liée à celle d’esclavage. Historiquement, cette vision a-t-elle évolué ? Par ailleurs, la mécanisation du travail a-t-elle asservi ou libéré l’homme ?

Etape 1 – De la mécanisation à la déshumanisation

Activité  n°1lecture analytique n°1 : Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) – Document 2

Objectifs : confronter deux textes  écrits dans une même période (entre-deux-guerres), par des écrivains de nationalités différentes, afin de prendre conscience des changements apportés dans le monde du travail (tant agricole qu’industriel) par la mécanisation ; montrer comment la littérature traduit l’angoisse existentielle face à la redéfinition de la place de l’homme dans l’univers.

Supports    

–       J. Steinbeck, Les  Raisins de la colère   (1939), extrait pris dans Itinéraires humanistes (P.212)

–       L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit (1932)

Déroulé de séance

Pour procéder à la L.A. de l’extrait de Céline, une activité de comparaison est proposée. Les élèves sont invités à lire  les deux extraits afin de mettre en évidence des correspondances. (document 9) Les échos peuvent être surlignés collégialement (utilisation du TBI ou du   vidéoprojecteur) ou en salle pupitre avec bascule d’écrans. A partir de la matérialisation des idées par un jeu de couleurs, on demande aux élèves de proposer par écrit, individuellement, un titre à chaque réseau d’idées. Puis collégialement, la classe cherche une problématique pour étudier le texte de Céline (celui de Steinbeck servira de document complémentaire pour l’entretien de l’E.A.F.) Pour la séance suivante, chaque élève devra reconstruire un plan d’analyse en organisant  les différents éléments repérés en cours. L’un d’entre eux passera à l’oral.

Prolongement possible

La simple lecture-plaisir du texte  de Cù Huy Cân, « empreinte fossile de feuille », Marées de la Mer orientale , cité dans Itinéraires humanistes (P.37), peut permettre de mieux mesurer, par opposition, le divorce de l’homme « dénaturé » avec l’univers.

Activité  n°2lecture d’image : Charlie Chaplin, Les Temps modernes (1936)  (début du film : Charlot à l’usine)

Objectif : en prolongement au texte de Céline, l’analyse de cette séquence cinématographique sur le travail à la chaîne permet de mieux cerner, par opposition, la tonalité particulièrement cynique et pessimiste de Céline sur le monde ouvrier.

Déroulé de séance : après avoir visionné les 20 premières minutes du film (travail à l’usine), une analyse orale est menée (s’appuyant sur des procédés propres au cinéma)  afin de montrer  comment  le burlesque se met au service de la dénonciation et  crée de  l’empathie avec la classe ouvrière. L’analyse orale débouche sur un écrit fonctionnel individuel, répondant à la question : Les deux auteurs portent-ils le même regard sur la condition ouvrière ? Justifiez votre réponse en vous appuyant précisément sur les œuvres. Ce travail permettra de s’assurer de la bonne compréhension des élèves : si  la dénonciation du travail aliénant et déshumanisant est commune aux deux œuvres, le regard porté sur l’ouvrier diffère sensiblement. Face à la bienveillance de Chaplin, le cynisme de Céline dérange.

Pour évaluer les acquis de ces deux supports on propose un écrit  de synthèse :

Les deux auteurs (Céline et Chaplin) portent-ils le même regard sur la condition ouvrière ? Justifiez votre réponse en vous appuyant précisément sur les œuvres.

 Exemple de production d’élève :

Activité  n°3Lecture analytique n°2 : Louis Armand, Simples propos (1968)

Objectif : le point de vue d’un ingénieur permet d’aborder une littérature argumentative moins poétique. Cet extrait d’essai est l’occasion de revenir sur la construction rigoureuse d’une argumentation directe : repérage de la thèse, des arguments, des exemples. La confrontation de ce texte, −où Armand soutient que la machine libère l’homme et le valorise−,  avec les  documents précédents conduit à initier les élèves à la démarche délibérative.

Déroulé de séance : l’analyse du texte s’appuyant sur son plan rigoureux, soulignera l’importance de la modalisation et la force de persuasion des procédés rhétoriques (comme l’analogie) utilisés. Elle débouchera, en conclusion, sur un débat oral : Etes-vous davantage convaincu par les propos de L. Armand que par ceux de Céline ? Le débat pourra alors  transposer la réflexion dans notre monde actuel :  à l’ère numérique,  la machine asservit-elle l’homme ou le libère-t-elle  dans son travail ? Cette amorce de réflexion permettra d’assurer la transition avec la suite de la  séquence.

Etape 2 –  Place du travailleur dans un univers virtuel ?

 

Séance n°4 – Lecture analytique n°3 : Thierry Beinstingel, Retour aux mots sauvages (2010) – (Document 5)

Objectif : Ce texte contemporain invite les élèves à réfléchir sur un   « nouveau métier »,  celui de téléconseiller, lié au développement du virtuel. La machine ne sert plus à fabriquer des biens matériels, mais de la relation dite  humaine. Dépossédé de ses mots, l’homme-automate doit  viser à l’efficience dans un gain de temps. Toute notion de service à la personne, d’entraide, devient transgression.  En complément, le court extrait supplémentaire du roman,  évoquant les retombées  de l’acte « dissident » du narrateur, explicite son désarroi face à la dépossession de soi-même. (voir lecture analytique, document 10)

NB. Le texte pourrait être illustré de l’image (P.292) de l’Anthologie humaniste  {extraite d’un film de J. Tatie }

Prolongement : Pagès,  « Harcèlement textuel », in Petites natures mortes au travail (2000) – document 6 –  A l’ère de la délocalisation, nombreux sont les téléconseillers étrangers, oeuvrant à l’autre bout du monde, sur des plateformes téléphoniques. Le texte de Pagès  poursuit l’évocation de travailleurs  dépouillés de leur langue, et donc de leur faculté de compréhension, par le portrait polémique de secrétaires exploitées pour leur rapidité de frappe.  Aussi incisif qu’un extrait des Caractères de La Bruyère, ce texte permet d’étudier un portrait argumentatif.

Séance 5 : Lecture analytique n°4 : Ph. Claudel, L’Enquête (2010)

Objectif : Ce texte permet de revenir à la notion d’apologue : fable moderne, à la croisée du fantastique et du monde  réel, l’extrait propose une vision apocalyptique de l’entreprise, véritable univers kafkaïen : l’homme est un déchet parmi tous ceux, polluants, que produit l’entreprise. (voir lecture analytique document 11)

Séance 6 Corpus de documents complémentaires : « L’homme jetable » : en lecture cursive, on peut proposer la lecture de quelques documents (un peu longs) illustrant tous à leur manière l’idée de « l’homme jetable » : licenciement, chômage, mise au placard, etc.  Le texte de permet de renvoyer à l’Anthologie humaniste, qui cite (P.258)  un autre extrait du roman  Ici comme ailleurs.

La chanson de Bernard Lavilliers, « Les Mains d’or »,  peut être le point de départ  d’une activité particulière : les élèves sont invités à rechercher une autre chanson sur le monde du travail, à la présenter oralement et à défendre leur choix.

Bilan de séquenceDevoir type bac

Objectif : le corpus est construit sur une perspective diachronique afin de retracer l’évolution de la perception du travail dans la pensée moderne. Le travail construit-il l’homme ou le détruit-il ? Telle est la problématique qui sous-tend le corpus. Les textes1 et 2, dans une perspective morale,  signalent que le travail permet à l’homme de se construire : il est source d’autonomie  chez  La Fontaine et source de sagesse chez Voltaire. A contrario, le texte de Linhart montre que l’ouvrier évolue  dans un milieu hostile qui menace constamment de le détruire  mais il y reste un homme, du fait même de cette fragilité. Enfin le texte de Vian suggère  que l’homme s’épanouisse ailleurs que dans le labeur aussi doit-il se libérer au maximum de cet esclavage pour pouvoir vivre.

Le travail de commentaire (sur la fable de La Fontaine) sera l’occasion de revenir sur une forme argumentative indirecte : l’apologue (tout comme le court extrait de Candide). La correction permettra d’insister sur le registre didactique.

Le travail de dissertation, volontairement très général (la littérature sous toutes ses formes), permet de s’interroger sur l’efficacité de la littérature : de l’éveil des consciences  à la subversion, peut-on agir par les mots ?

Le travail d’écriture d’invention  doit permettre aux élèves  de réinvestir ce qui a été vu à travers les textes de Céline, Armand et le film de Chaplin.


 

Bilan : compétences mobilisées au cours des différentes activités du projet

L’ensemble des compétences du socle seront travaillées au cours de la séquence et plus particulièrement :

LIRE : dégager les idées essentielles d’un texte (littéraire, documentaire) ; identifier et reformuler la thèse dans un texte argumentatif

ECRIRE : produire un texte organisé (fictionnel ou non) ; produire un texte à visée argumentative

DIRE : prendre part à un dialogue, échanger des arguments étayés (par l’étude des documents) ;  rendre compte d’un travail individuel (oral E.A.F. – présentation d’un choix personnel argumenté)

CULTURE HUMANISTE : acquérir des repères en littérature et en arts afin de se forger une culture humaniste