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Devoir type bac : le travail

Devoir type bac

Corpus :

  1. Jean de La Fontaine, « Le Laboureur et ses enfants », Fables  (V, 9) (1690)
  2. Voltaire,  Candide, chapitre XXX (1759)
  3. Boris Vian, L’Ecume des jours , chapitre XXV (1947)
  4. Robert Linhart,  L’Etabli (1978)

 

Question (4 points)

A travers ces textes, peut-on dire que le travail construise l’homme  ?

 

Travail d’écriture  (au choix)

  1. Commentaire :  Vous ferez le commentaire littéraire de la fable de La Fontaine, « Le Laboureur et ses enfants » (document 1).

 

  1. Dissertation :  Pensez-vous que la littérature puisse être utile à l’homme pour améliorer sa condition ?  (ou)  La littérature nous aide-t-elle à apprendre notre « métier d’homme » ?

 

  1. Ecriture d’invention : Le narrateur du texte 4 raconte  à une personne extérieure à l’usine,  un épisode de sa carrière où il a eu particulièrement peur, sur la chaîne de montage. Imaginez son récit, au cours duquel l’interlocuteur pourra brièvement intervenir.

 

 

Document 1 – La Fontaine, Fables, livre V, fable 9 (1690)

Le Laboureur et ses enfants

        Travaillez, prenez de la peine :

C’est le fonds[1] qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,

Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.

Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage

Que nous ont laissé nos parents.

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage

Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.

Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût[2]

Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place

Ou la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ

Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an

Il en rapporta davantage.

D’argent, point de caché. Mais le père fut sage

De leur montrer avant sa mort

Que le travail est un trésor.

 

Jean de La  Fontaine, Fables (1690), livre V, fable IX

 

Document 2 – Voltaire,  Candide   (1759)

Après maintes tribulations périlleuses qui l’ont mené à travers le monde, Candide, entouré de son maître Pangloss et de ses amis, dont Martin, décide de fonder une petite communauté. Dans l’épilogue du conte, il fait une dernière rencontre déterminante : celle du vieillard turc.

 

Pangloss, Candide et Martin, en  retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d’orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le muphti qu’on venait d’étrangler. « Je n’en sais rien, répondit le bonhomme ; et je n’ai jamais su le nom d’aucun muphti ni d’aucun vizir[3].  J’ignore absolument l’aventure dont vous me parlez ; Je présume qu’en général ceux qui se  mêlent des affaires publiques  périssent quelquefois misérablement, et qu’ils le méritent ; mais je ne m’informe jamais de ce qu’on fait à Constantinople ; je me contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive. » Ayant dit ces mots, il fit entrer les étrangers dans sa maison ; ses deux filles[4] et ses deux fils leur présentèrent toutes sortes de sorbets qu’ils faisaient eux-mêmes, du kaïmak[5] piqué d’écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons, des ananas, des pistaches, du café de Moka qui n’était point mêlé par le mauvais café de Batavia et des îles. Après quoi les deux filles de ce bon musulman parfumèrent les barbes de Candide, de Pangloss, et de Martin.

« Vous devez avoir,  dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ?  − Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice, et le besoin. »

Candide, en retournant dans sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à Martin : « Ce bon vieillard me paraît s’être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui nous avons eu l’honneur de souper. –Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes : car enfin  Eglon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards ; le roi Nadab, fils de Jéroboam, fut tué par Baasa ; le roi Ela, par Zambri ; Ochosias, par Jéhu ; Attalia, par Joïada ; les rois Joakim, Jéchosias, Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien, Richard II d’Angleterre, Edouard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Henri IV ? Vous savez… − Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin. – Vous avez raison, dit Pangloss ; car quand l’homme fut mis dans le jardin d’Eden, il y fut mis ut operaretur eum[6], pour qu’il travaillât : ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. – Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. »

 

Document 3 – Boris Vian, L’Ecume des jours,  chapitre XXV  (1947)

    Au cours d’un déplacement,  les deux jeunes héros du roman L’Ecume des jours, Colin et Chloé, croisent des ouvriers au travail.

«   Pourquoi sont-ils si méprisants ? demanda Chloé. Ce n’est pas tellement bien de travailler…

–          On leur a dit que c’était bien, dit Colin. En général, on trouve ça bien. En fait, personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement.

–          En tout cas, c’est idiot de faire un travail que les machines pourraient faire.

–          Il  faut construire des machines, dit Colin. Qui le fera.

–          Oh !  Evidemment, dit Chloé. Pour faire un œuf, il faut une poule, mais une fois qu’on a la poule, on peut avoir des tas d’œufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule.

–          Il faudrait savoir, dit Colin, qui empêche de faire des machines. C’est le temps qui doit manquer. Les gens perdent leur temps à vivre, alors il ne leur en reste plus pour travailler.

–          Ce n’est pas plutôt le contraire ? dit Chloé.

–          Non, dit Colin. S’ils avaient le temps d’en construire des machines, après ils n’auraient plus besoin de rien faire. Ce que je veux dire, c’est qu’ils travaillent pour vivre au lieu de travailler à construire des machines qui les feraient vivre sans travailler.

–          C’est compliqué, estima Chloé.

–          Non, dit Colin. C’est très simple. Ca devrait, bien entendu, venir progressivement. Mais on perd tellement de temps à faire des choses qui s’usent…

–          Mais tu crois qu’ils n’aimeraient pas mieux rester chez eux et embrasser leur femme et aller à  la piscine et aux divertissements ?

–          Non, dit Colin. Parce qu’ils n’y pensent pas.

–          Mais, est-ce que c’est leur faute si ils croient que c’est bien de travailler ?

–          Non, dit Colin, ce n’est pas leur faute. C’est parce qu’on leur a dit : « Le travail, c’est sacré, c’est bien, c’est beau, c’est ce qui compte avant tout, et seuls les travailleurs ont droit à tout. » Seulement on s’arrange pour les faire travailler tout le temps et alors ils ne peuvent pas en profiter.

–          Mais,  alors, ils sont bêtes ? dit Chloé.

–          Oui, ils sont bêtes, dit Colin. C’est pour ça qu’ils sont d’accord avec ceux qui leur font croire que le travail c’est ce qu’il y a de mieux. Ca leur évite de réfléchir et de chercher à progresser et à ne plus travailler.

–          Parlons d’autre chose, dit Chloé. C’est épuisant, ces sujets-là.

 

Texte 4 –  Robert Linhart, L’Etabli ( 1978)

Le narrateur, embauché  dans une usine de Citroën, en 1969, réfléchit sur ses conditions de travail et notamment sur la peur ressentie dans l’usine. Il vient d’évoquer celle suscitée par la présence des chefs et celle des mouchards de la direction, par le biais d’un syndicat proche de la direction.

 

Mais même cela ne suffit pas à définir complètement notre peur. Elle est faite de quelque chose de plus subtil et de plus profond. Elle est intimement liée au travail lui-même.

La chaîne, le défilé des 2 CV, le minutage des gestes, tout ce monde de chaînes ou l’où se sent menacé de perdre pied à chaque instant, de « couler », de « louper », d’être débordé, d’être rejeté. Ou blessé. Ou tué. La peur suppure de l’usine parce que l’usine, au niveau le plus élémentaire, le plus perceptible, menace en permanence les hommes qu’elle utilise. Quand il n’y a pas de chef en vue, et que nous oublions les mouchards, ce sont les voitures qui nous surveillent par leur marche rythmée, ce sont nos propres outils qui nous menacent à la moindre inattention, ce sont les engrenages de la chaîne qui nous rappellent brutalement l’ordre. La dictature  des possédants s’exerce ici d’abord par la toute-puissance des objets.

Et quand l’usine ronronne, et que les fenwicks foncent dans les allées, et que les ponts lâchent avec fracas leurs carrosseries, et que les outils hurlent en cadence, et que,  toutes  les quelques minutes, les  chaînes crachent une nouvelle voiture que happe le couloir roulant, quand tout cela marche tout seul et que le vacarme cumulé de mille opérations répétées sans interruption se répercute en permanence dans nos têtes, nous nous souvenons que nous sommes des hommes, et combien  nous sommes plus fragiles que les machines.

Frayeur du grain de sable.

[1]  ressource

[2] Orthographe du XVIème S. Le nom du mois d’août désigne aussi la moisson.

[3]  Un vizir du banc était un ministre de haut rang et le mupthi, le chef de l’Islam.

[4] La  présence de celles-ci est incompatible avec les mœurs musulmanes. En pays d’Islam, quand un chef de famille reçoit des visiteurs les femmes ne paraissent pas.

[5] Une sorte de yaourt.

[6] Genèse, II, 15

 

Objectif : le corpus est construit sur une perspective diachronique afin de retracer l’évolution de la perception du travail dans la pensée moderne. Le travail construit-il l’homme ou le détruit-il ? Telle est la problématique qui sous-tend le corpus. Les textes1 et 2, dans une perspective morale,  signalent que le travail permet à l’homme de se construire : il est source d’autonomie  chez  La Fontaine et source de sagesse chez Voltaire. A contrario, le texte de Linhart montre que l’ouvrier évolue  dans un milieu hostile qui menace constamment de le détruire  mais il y reste un homme, du fait même de cette fragilité. Enfin le texte de Vian suggère  que l’homme s’épanouisse ailleurs que dans le labeur aussi doit-il se libérer au maximum de cet esclavage pour pouvoir vivre.

 

Le travail de commentaire (sur la fable de La Fontaine) sera l’occasion de revenir sur une forme argumentative indirecte : l’apologue (tout comme le court extrait de Candide). La correction permettra d’insister sur le registre didactique.

 

Le travail de dissertation, volontairement très général (la littérature sous toutes ses formes), permet de s’interroger sur l’efficacité de la littérature : de l’éveil des consciences  à la subversion, peut-on agir par les mots ?

 

Le travail d’écriture d’invention  doit permettre aux élèves  de réinvestir ce qui a été vu à travers les textes de Céline, Armand et le film de Chaplin.

 

  OU va le travail  humain?