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Autour du mot « barbare »

Contexte :

  • Séquence sur la découverte de l’autre : la question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIe à nos jours.

L’objectif de la séance est de montrer, comme le fait Montaigne dans son essai, que s’interroger sur les sens du mot « barbare » revient à questionner les regards portés sur l’autre et mettre en évidence la relativité de nos jugements.

  • Supports :

Montaigne, Essais, « Des cannibales » (I, 31) ; article « barbare » du Littré en ligne

Objectifs :

 

  • Culture :

Analyser le regard humaniste sur l’autre.

  • Lecture :

Lire et interpréter un article de dictionnaire ;

Procéder à une lecture analytique de l’extrait des Essais en s’aidant du travail réalisé sur l’article de dictionnaire.

  • Ecriture :

Ecrit réflexif : rédiger un article de dictionnaire en s’appuyant sur la lecture du texte de Montaigne.

Ecrit de commentaire : rédiger un texte argumentatif.

  • Étude de la langue :

S’interroger sur la polysémie du langage et établir des relations avec l’histoire des idées : le lexique de l’altérité.

 

1ère étape : Etude de l’article « barbare » du Littré

On étaie la lecture de l’article par un petit travail de recherche :

  • Chercher les différentes significations du mot “barbare”; Formuler une phrase illustrant chacune des acceptions du terme ;
  • Trouver un antonyme pour chacune des acceptions ;
  • Préciser dans quel sens on emploie le terme aujourd’hui.
BARBARE(bar-ba-r’) adj.
1°Étranger, par rapport aux Grecs et aux Romains. Substantivement. Les barbares de la Germanie. Il se réfugia dans le pays des barbares. Songez qu’une barbare en son sein l’a formé [Hippolyte], RAC. Phèd. III, 1. Par extension, non civilisé, mal civilisé. Fléaux du nouveau monde, injustes, vains, avares, Nous seuls de ces climats nous sommes les barbares, VOLT. Alz. I, 1. Quelque respect que j’aie pour ce barbare de grand homme [Pierre 1er], VOLT. Lett. d’Argental, 15 juin 1759. Familièrement. C’est un barbare, pour désigner un homme sans goût et incapable d’apprécier les beautés de l’art. 2°Sauvage, grossier. Peuples sauvages et barbares. Siècle barbare. Des oreilles barbares. Tertullien est le Bossuet africain et barbare, CHATEAUB. Génie, I, 1. D’un seul nom quelquefois le son dur et bizarre Rend un poëme entier ou burlesque ou barbare, BOILEAU, Art poét. III. Barbare s’est dit du genre gothique, de l’art du moyen âge. 3°Contraire aux règles de la langue. Parler d’une manière barbare. 4°Qui est sans humanité, cruel. Un homme barbare. Au combat qui pour toi se prépare, C’est peu d’être constant, il faut être barbare, RAC. Bérén. IV, 4. Barbare destinée, RAC. Esth. I, 3. Substantivement, homme cruel, inhumain. C’est un barbare qui se plaît à faire souffrir les animaux. Je veux qu’avec tout l’art et toutes les caresses Qui pourraient d’un barbare arracher des tendresses…. ROTROU, Bélis. IV, 1. XIVe s. Barbares, tous ceulz qui sont de estrange langue, ORESME, Thèse de MEUNIER. XVIe s. Ceste ordonnance [assiette d’un camp], dit-il, encore qu’elle soit d’hommes barbares, n’est point barbare pourtant, AMYOT, Pyrrhus, 34. Antigonus chassa son filz à coups de baston, en l’appelant cruel meurtrier et barbare inhumain, AMYOT, ib. 77. Ou qu’il usera d’un mot barbare en sa narration, AMYOT, de la Mauv. honte, 19. Barbarus ; en grec, proprement étranger. Dans l’ancien français, on employait barbari comme en provençal : la gent barbarie, Ronc. p. 111 ; et, au XVIe siècle, barbaresque, au lieu de barbare : l’horreur barbaresque qu’il y a à une telle action, MONT. I, 240.

Article barbare du Littré

 

 

2ème étape : Lecture analytique du texte de Montaigne

1)    Entrée dans le texte : Avant de procéder à la lecture intégrale d’un texte qui ne manquera pas de paraître très difficile aux élèves, on amorce l’analyse en leur demandant de reformuler à l’oral la première phrase (jusqu’à “usage”) :

  • Or” : Montaigne récuse l’opinion partagée par ses contemporains qui consiste à considérer les indigènes d’Amérique du Sud comme des barbares et des sauvages ;
  • “sinon que” : introduit l’idée de restriction et la formulation d’une sentence présentée comme une vérité générale : “chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage”.

 

Le travail réalisé précédemment sur l’article de dictionnaire permet d’éclairer la stratégie de Montaigne : il se sert des différentes acceptions du terme “barbare” : 1°) sauvage, grossier = sens qu’il récuse ; 2°) étranger, autre ; et critique notre tendance naturelle à confondre les deux. Ainsi, l’objectif de Montaigne est de démontrer que ces hommes ne nous sont pas inférieurs et pour ce faire, il va proposer une nouvelle définition du terme “barbare”.

 

2)    On peut dès lors procéder à la  lecture de la suite du texte. On invite les élèves à surligner les oppositions lexicales (qui correspondent en partie aux acceptions travaillées à partir de l’article de dictionnaire)

 

3)    Ce travail de repérage aboutit au bilan suivant :

    Bilan
  •   L’opposition barbarie / civilisation s’élargit à l’opposition nature / culture
  •   Montaigne remet en question la notion de progrès associé à la civilisation : du côté de ces hommes restés proches de la nature se trouvent l’innocence et la pureté, alors que sont associées à la civilisation les idées d’artifice, de détournement et de corruption.

 

3ème étape : évaluer les acquis : de la lecture à l’écriture

 

Ecriture fonctionnelle de synthèse : Rédiger l’article « barbare » dans le dictionnaire de Montaigne

Ce travail permet de définir le projet de lecture définitif

On propose aux élèves de réaliser le bilan de la lecture analytique du texte de Montaigne en rédigeant l’article “barbare” que celui-ci aurait pu réaliser.

On élabore les consignes collectivement :

-rappel du sens étymologique du terme,

définition selon le sens que Montaigne donne à ce terme, illustrée par une ou deux citations du texte, synonymes, antonymes. La définition proposée doit évidemment faire apparaître l’idée… que le terme barbare désigne les peuples qui ont su rester proche de l’état de nature / respecter les lois de la nature / vivre en harmonie avec elle Par opposition à l’homme civilisé qui a abandonné ces lois naturelles / les a corrompues.

Plusieurs citations du texte peuvent servir à illustrer ces idées : Ce n’est pas raison que l’art gagne le point d’honneur sur notre grande et puissante mère Nature.”, “Ces nations me semblent donc ainsi barbares pour avoir reçu fort peu de leçon de l’esprit humain et être encore fort voisines de leur naïveté originelle.”…

 

4ème étape : à la maison, lecture d’un extrait de Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil de Jean de Léry (1578)

1) Dégager 2 ou 3 étapes dans le texte et leur donner un titre.

2) Reprise en classe : formuler en une ou deux phrases la morale du texte : “Le barbare n’est pas celui qu’on croit” ; “il ne faut pas reprocher aux autres ce que l’on fait soi-même” ; “il ne faut pas se fier aux apparences” ; “chacun appelle barbare celui qui ne lui ressemble pas” etc.

3) On demande aux élèves de justifier le choix de ces titres.

4) Prolongement : recherche lexicale (ethnocentrisme, discrimination, xénophobie)

 

5ème étape : Evaluation

A partir de la lecture d’un article du Monde :   “Le retour des zoos humains” de Pascal Blanchard et Olivier Barlet (01/09/05), on demande aux élèves de rédiger un texte argumentatif :

Consigne :

Vous rédigerez un texte d’une page environ pour dénoncer les exhibitions de populations considérées encore aujourd’hui comme “sauvages”. Vous utiliserez les mots “xénophobie, ethnocentrisme, discrimination” et vous vous appuierez sur les textes de Montaigne et de Léry  ainsi que  sur votre lecture du roman de Daëninckx.

 6ème étape : Retour sur le texte de Montaigne :

On propose quelques passages extraits des copies des élèves et on fait le point sur les stratégies adoptées :

– registre polémique, les arguments développés mettent l’accent sur l’idée que tous les hommes sont égaux, que l’on présente l’autre comme un sauvage parce qu’on en a peur, que ce n’est pas parce que certains peuples vivent encore en harmonie avec la nature qu’ils doivent être assimilés à des animaux et exhibés dans des zoos…

Peu d’exemples, on revient donc sur le roman de Daëninckx pour illustrer précisément le propos et on invite les élèves à choisir une ou deux citations des textes de Montaigne et de Léry pour les intégrer à l’argumentation.

On aboutit à une 1ère définition très générale du genre de l’essai : porte sur des questions dont la portée est générale (l’homme, l’autre, le pouvoir…), produire un effet sur le destinataire (convaincre), une discussion d’idées (délibératif).

 Dans un 2ème temps, on demande à la classe de comparer la stratégie adoptée par les élèves (qui est aussi celle des auteurs de l’article du Monde) avec celle de Montaigne :

 

  • Même si la réflexion porte sur les Indiens d’Amérique, il n’est pas question de leur apparence, ni de leurs coutumes dans le texte (contrairement au texte de Léry) ;
  • Il s’appuie sur une redéfiniton du terme “barbare” ;
  • L’auteur semble digresser : il développe la comparaison avec les fruits sauvages, mais on passe d’un jugement de goût à un jugement moral : ce jugement s’applique donc aux hommes : une remise en question de la civilisation.

2ème définition de l’essai : rôle de l’oeuvre de Montaigne  + l’expression d’une subjectivité  + stratégie du détour

 

L’exposé : à la maison, les élèves doivent répondre à la question : “Quelle stratégie Montaigne met-il en oeuvre pour dénoncer l’ethnocentrisme de ses contemporains ?” en proposant un nouveau parcours de lecture dans le texte

                                  ←L’humanité en débat