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Autour du mot « travail »

Séance lexicale : autour du mot travail

 

 Peggy Dumont – Collège Jules Ferry (Anzin

 

Cette séance peut venir en bilan de l’Etape 1 – De la mécanisation à la déshumanisation de la séquence « Où va le travail humain? ». Elle permet de reconsidérer les différentes lectures analytiques à la lueur d’une notion lexicale qu’est l’étymologie du mot TRAVAIL.

Ainsi, en découvrant dans un premier temps l’origine très singulière de ce mot, les élèves pourront ensuite, par cette activité, enrichir leur commentaire littéraire et parfaire leur lecture de l’image.

Puis, dans un second temps, en  étudiant l’étymologie de deux autres synonymes latins du mot TRAVAIL (et en rendant ainsi compte de la richesse sémantique de cette notion), les élèves seront conduits à maîtriser de nouveaux outils linguistiques efficients propres à compléter et éclairer leurs lectures analytiques.

Cette activité d’une durée d’une heure en salle pupitre requiert l’exploitation de ressources numériques en lignes (notamment de dictionnaires).

Les élèves disposent sur leur serveur, des textes précédemment étudiés, des extraits filmiques des Temps Modernes de Charlie Chaplin et du questionnaire ci-dessous auquel ils répondent en autonomie. Le professeur guide ces recherches en ponctuant la séance de pauses permettant l’observation d’écrans d’élèves proposant des éléments de réponses, fautifs, incomplets, contradictoires, afin de faire évoluer la réflexion lexicale dans l’alternance de moments de recherches autonomes et collectifs.

 

I° Du Tripalium au travail à la chaîne…

1° Recherchez l’étymologie du mot TRAVAIL et citez des emplois actuels de ce mot qui évoquent cette étymologie.

Le mot TRAVAIL est issu  du bas latin populaire « tripalium » qui désigne à l’origine un instrument formé de trois pieux, deux verticaux et un placé en transversale, auquel on attachait les animaux pour les ferrer ou les soigner, et qui fut ensuite utilisé comme instrument de torture.

Le travail désigne donc dans un premier temps l’objet concret qui entraîne une souffrance. Au Moyen Âge, la signification du terme évolue : en ancien français, il désigne l’instrument de torture, puis correspond à l’action de tourmenter ou de se tourmenter soi-même (n’oublions pas que la conception – très prégnante au Moyen Âge – du travail-châtiment et du travail-pénitence, fut répandue par le christianisme à partir de la genèse, avec la condamnation d’Adam et d’Eve au travail qui est la conséquence directe du péché originel). Par glissement sémantique, le travail désigne le résultat de cette action : la souffrance, la peine, le tourment.

Cette étymologie du mot TRAVAIL renvoie donc à la notion de contrainte et de domination, mais aussi de tourment, de torture et de souffrance.

 

On retrouve aujourd’hui encore des traces de ce sens étymologique dans certains emplois du substantif TRAVAIL et du verbe TRAVAILLER :

a)  lorsque le travail désigne les douleurs de l’accouchement (la salle de travail – le travail d’enfantement)

b) Voir tous les sens donnés par le dictionnaire en ligne CNRTL (article TRAVAILLER -B. 1 et 2 : qqc travaille qqu / qqu travaille qqu) – http://cnrtl.fr/definition/travailler

2° A la lueur de l’étymologie du mot TRAVAIL, en quoi le titre donné à l’extrait du roman de Céline « Travail à la chaîne » (Lecture analytique 1), est-il doublement pertinent ?

Dans cet extrait de Voyage au bout de la nuit, Louis – Ferdinand Céline évoque les usines Ford de Détroit qui les premières ont appliqué l’organisation scientifique du travail (OST) et ont soumis leurs ouvriers aux lois du Taylorisme fondées sur le travail à la chaîne. Le titre de l’extrait évoque précisément cette rationalisation du travail, mais il rappelle également les sens étymologiques du mot TRAVAIL : il met non seulement en perspective la notion de domination et d’aliénation des ouvriers soumis à la machine en même tant qu’il évoque l’idée de torture à laquelle sont soumis les hommes.

3 ° Sélectionnez un photogramme du film « Les Temps Modernes » de Charlie Chaplin rendant compte également du sens étymologique du mot « TRAVAIL » et rédigez un court texte justifiant votre choix.

 

Plusieurs photogrammes peuvent convenir pour illustrer le sens étymologique du mot « TRAVAIL » : on pourra retenir notamment les photogrammes montrant Charlot soumis, entravé physiquement par les machines.

Il pourra s’agir de la célèbre séquence où le héros est happé par la machine :

Sans titre

Mais on pourra également se référer à la scène de la machine à manger pour laquelle le professeur pourra apporter une analyse complémentaire permettant d’établir un lien flagrant entre l’idée que la machine ici représentée comme une entrave et un instrument de torture.

En effet, dans la longue scène de « la machine à nourrir » (8min 49 à 12min58), la machine se transforme en véritable objet de torture.

            Premier constat : la machine présentée par les ingénieurs  est totalement inutile puisqu’elle ne répond pas à sa fonction première, celle de faire gagner du temps à l’ouvrier, qui certes reste sur sa chaîne de montage mais ne peut absolument  plus bouger, puisqu’il est littéralement ceinturé, entravé, incapable de bouger ni pour se nourrir, ni pour travailler. Cette scène relativement longue (4 min) est particulièrement symbolique.

Cette activité nourricière relève de la torture pour Charlot. Il est cet individu emprisonné à une place, sans possibilités de mouvoir son corps, assigner à avaler ce qui lui est donné (et non pas proposé.) Quasiment emmailloté dans cette machine de fer, Charlot devient un tronc.

 

Le cadrage est lui aussi symbolique :

 

Chaplin 2

 

 

  • la construction du plan est oblique : le spectateur n’est pas situé dans l’axe de Charlot, mais sur le côté, il n’apparaît pas en face (comme dans un dispositif théâtral classique ou le personnage participe activement au spectacle – comme à la fin du film)
  • Une échelle de plan « semi-rapproché », ou plan-taille : le personnage n’a pas accès au gros plan (à la différence des boulons de la machine ou du maïs) ; le spectateur n’est pas amené à partager les émotions du personnage ; le spectateur est placé à distance du personnage, au niveau du patronat (le plan est d’ailleurs en légère plongée)
  • Tout le visage de Charlot exprime une humanité bafouée, ramenée en deçà de l’animal, au rang du nourrisson (à l’époque, les enfants en bas âge étaient encore emmaillotés)
  • Il doit ingurgiter ce que décide le patronat, qui joue ici le rôle de mère nourricière. On obéit toujours à celui qui nous donne à manger (or, le premier pouvoir que détient l’enfant face à l’autorité parentale, c’est le refus de manger)
  • Cette scène tire surtout sa force satirique de son extrême violence : le spectateur, s’il rit, n’en subit pas moins lui aussi la torture infligée au cobaye qu’est Charlot : gavé de boulons (symbolisant l’industrie), trempé de soupe chaude, frotté au visage par un épi de maïs (emblématique des U.S.A), souillé par  la traditionnelle tarte à la crème (renouvelant le gag usé de la tarte à la crème), l’ouvrier est totalement nié dans son humanité , il n’est même plus un esclave du système, ni un ouvrier infantilisé, il est réduit à l’état d’animal d’élevage qu’on gave pour accroître les profits du patron (ce qui ne fait que justifier les 2 premières images du film comparant, les ouvriers à des moutons :  ils ne sont pas seulement des moutons parce qu’ils se rendent à l’usine comme des bestiaux vont à l’abattoir, sans réfléchir, sans se poser de questions. Ils sont aussi des moutons par ce que le système dominé par les patrons et la mécanisation les y contraint).

II° Entre LABOR et OPUS

4° En latin, le mot TRAVAIL peut se traduire par les mots :         

– LABOR  (http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=labor)

– OPUS (http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?p=1087)

En vous aidant des articles du dictionnaire latin GAFFIOT en ligne, indiquez les nuances de sens des notions de LABOR et OPUS et indiquez ensuite les mots français issus de ces deux racines latines.

 

labor correspond à la notion de peine au travail, de fatigue, de labeur (comme conséquence du péché) : c’est particulièrement le sens du mot TRAVAIL dans l’expression labores Herculis, les travaux d’Hercule.

Les mots français issus de cette racine sont entre autre : labeur, laborieux, laborieusement, labour, labourer, labourable, labourage,  laboureur, laboratoire, laborantin, collaborer, collaboration, collaborateur, élaborer, élaboration…

 

opus (ouvrage) correspond à la notion d’ouvrage, de travail comme résultat de la création ou d’une activité naturelle (on remarque dans le 2) de cet article que le seul mot opus peut se traduire chez Térence ou Cicéron par « travail de la terre » ou « travail des champs »

Les mots français issus de cette racine sont entre autre : opus, opéra, opération, opérateur, opérer, opime, coopérer, coopération, coopérateur, postopératoire, ouvrable, ouvrier, ouvré, ouvrage, ouvragé, œuvre, désœuvré, désœuvrement, manœuvre, manœuvrer …

 

 Etymologiquement issu du mot latin TRIPALIUM, la signification du mot travail a cependant évolué au fil des siècles, se positionnant plutôt du côté du labor, dans un premier temps, puis du côté de l’opus.

            Procédez à la relecture du texte Simples propos de Louis Armand et expliquez en quoi il rend compte, dans une certaine mesure, de cette évolution sémantique.

Dès son paragraphe introductif, Louis Armand oppose d’emblée deux visions antinomiques de la notion de travail dans un univers désormais soumis à la technique et au machinisme. Deux images s’opposent :

– « l’image d’un ouvrier rivé à une machine-outil » où l’homme est soumis « à un esclavage de plus, celui de la machine« . Comme dans le film de Charlie Chaplin, les Temps Modernes, cette conception du travail renvoie directement à l’idée de soumission de l’homme par la machine et évoque ainsi l’étymologie du TRIPALIUM (la machine étant l’objet qui entrave l’ouvrier et réduit sa liberté) et associe l’idée de TRAVAIL avec l’idée de pénibilité, de labeur, plaçant alors le travail du côté du LABOR.

A contrario, les techniciens conçoivent la machine comme un moyen de « libérer l’homme de nombres de servitudes » : preuve en est, « les métiers odieux » utilisant la force musculaire des hommes disparaissent, grâce à la machine qui est alors un « auxiliaire » générant ainsi un véritable « progrès social » par lequel le travailleur manuel ressent « un contentement intime à conduire des moteurs pour faire l’ouvrage que, naguère encore, il accomplissait à la main« . Ce progrès social nous permet de voir le sens du mot TRAVAIL glisser de la notion de TRIPALIUM (avec l’idée d’aliénation et de soumission) ou même de LABOR (avec l’idée de souffrance et de pénibilité liées au travail manuel) à la notion d’OPUS (d’ouvrage à réaliser avec la machine comme adjuvant).

 

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