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Etude comparée : Les raisins de la colère / Voyage au bout de la nuit

Etude comparée de deux extraits : Les Raisins de la colère / Voyage au bout de la nuit

                                                                 Véronique Perrin

                                                         Lycée Voltaire, Wingles

  1. I.         Le travail mécanisé
    1.  les conditions de travail

Céline

Steinbeck

Monde métallique froid boîte aux aciers – boulons –  tout ce qu’on touche, c’est dur à présent – ferraille cylindresIl était assis sur un siège de fer, les pieds sur des pédales de fer + lames – herse – dents de fer + douze verges en fer incurvées, érigées à la fonderie  (les métonymies)
Monde bruyant le fracas énorme de la mécanique – bruit de rage énorme (hyperbole + personnification : hostilité des machines) tonnerre des cylindres (métaphore) – le grondement de ses cylindres détonants  
Trépidations tout tremblait dans l’immense édifice – le tremblement – des secousses – vibré du haut en bas –  tremblotante – agitant tonnerre des cylindres (qui) faisait trembler la campagne
Puissance des machines = danger ; peur hyperboles (rage- tout tremblait dans l’immense édifice) la puissance de son élan, qui suscite la peur : faisait trembler la campagne. Le rythme ternaire des verbes d’action (il fonçait droit / coupait / rebroussait) souligne cette puissance. 
Toxicité avec cette odeur d’huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la  gorge.  

 

 

=> conditions de travail difficilement supportables, dans un univers démesuré chez Céline (immense édifice), avec un outil de travail hostile (rage – herse / dents de fer)

 

  1. La monstruosité du travail

 

Céline

Steinbeck

Violence exercée sur… Sur l’homme : aliénation de l’homme par la machine : soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement – qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables = dislocation du corps humain (importance des métonymies + très gros plans)
+ dislocation de la phrase : rythme des phrases agrammaticalesL’ouvrier est possédé par les vibrations des machines. 
–        Sur l’homme : Personnification, chez Steinbeck, du tracteur en monstre, doué d’un libre arbitre (lâché en liberté). Il semble être la créature d’un diabolique inventeur invisible et tout puissant :  le monstre avait construit le tracteur. Le laboureur est possédé par le monstre qui est entré en  lui. Sur la terre, personnifiée, en figure martyre : le viol sans passion de la terre (image annoncé par les douze verges ?), par les objets qui entaillent (disques luisants qui coupaient avec des lames – lames tranchantes qui brillaient, polies… – coupée – herse – dents de fer) ; la violence exercée sur le sol par les lames  (’émiettaient – s’aplanissait ) : le labour trop profond détruit la terre :  Accouchait avec le fer (image des forceps) et mourait peu à peu sous le fer. Extrême précision, quasi chirurgicale, du geste du labour dans une longue période : le labour n’a plus rien d’un acte paysan.  Le mot chenille connote le tracteur à l’armement, rappelant les origines militaires du matériel  agricole.

 

  1. Le rapport de l’homme à la machine
 

Céline

Steinbeck

Considération de l’homme pour la machine les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines. Au contraire, chez Céline, l’homme brutalisé, soumis à machine qui l’aliène semble aimer l’outil d’aliénation (personnifié). Finalement, chez Céline, la monstruosité résulte davantage de l’acceptation-même du martyr, de la résignation.  une sorte de fascination de l’homme pour la puissance du tracteur (il pouvait admirer) ; un sorte d’aveu d’infériorité mais sans lien affectif : mais ce n’était pas son tracteur. Pas de rapport de possession puisque l’employé est un journalier.

 

  1. II.       La perte d’humanité
    1. L’impuissance humaine
 

Céline

Steinbeck

L’homme dominé l’homme est le jouet des machines (cf. ci-dessus),l’homme est le jouet des chefs : nous fûmes répartis en file traînardes (voix passive) – on ne pouvait ni se parler ni s’entendre (travail sur les procédés de dépréciation : suffixe péjoratif, nom collectif, pronom indéfini) Abondance  de termes marquant l’absence de contrôle (le conducteur était incapable de le maîtriser… ) + pléthore de négations soulignant cette impuissance : répétition de ne pouvait pas, etc.  =>  l’homme se caractérise par tout ce qu’il n’est plus en mesure de faire.Cela s’oppose au rythme ternaire de verbes d’action:  foncer droit / couper / rebrousser chemin – une fois la machine en action ; l’homme ne peut que la subir. 

 

  1. L’homme-machine :

Céline

Steinbeck

L’homme  privé d’individualité Pas d’individualisation des ouvriers : pronom indéfini on  + tournure impersonnelle : il en restait à chaque fois… « L’homme » (L.1), sans individualité, finit par ne plus être désigné que par le terme de « conducteur » : il se réduit à sa fonction (au service de la machine)
L’homme disloqué Désignation des hommes par métonymies : viande, tripes  = dislocation Désignation des hommes par métonymies :  par ses mains, son cerveau, ses pieds… Il y a perte d’entitéDépersonnalisation :  l’homme disparaît sous ses accessoires : gants, lunettes, masque…  lui avait bouché les yeux avec des lunettes (comme s’il n’avait plus d’yeux, plus de mains, plus de nez, plus de bouche, bref plus rien d’humain).
L’homme animalisé Animalisation : viande, tripes  – contremaître = cochonl’image d’un troupeau qu’on conduit à l’abattoir (files traînardes par groupes hésitants – à mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons)
L’homme-machine on en devenait machine aussi soi-même à force de… L’homme  fait  corps avec la machine, avec qui il forme un individu  monstrueux  :  L’homme assis sur son siège n’avait pas  l’apparence humaine : gants (…) sur son siège.  Cette machine prolonge l’homme. L’homme devient monstre, robot. Le monstre est entré   dans son corps et le possède  :  pénétrer dans les mains du conducteur, dans son cerveau, dans ses muscles

 

 

  1. Perte des valeurs humaines
 

Céline

Steinbeck

Négation des valeurs qui fondent  l’humanité avec les trois idées qui restent  + partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche, c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir.. .  est raidi comme du fer. … n’a plus de goût dans la pensée…  Même impression que l’homme est étranger à lui-même, indifférent à tout. la connaissance (ne connaissait pas) ;la possession (appropriation , contrôle) (ne possédait pas) ;la foi (n’implorait pas) ;la faculté de penser, du libre- arbitre (sans que sa volonté fût intervenue) ;

les sentiments et émotions (cela ne faisait rien – ne s’en inquiétait pas plus que le tracteur.) ;  indifférence

ð Perte des valeurs humanistes  sans

s’en soucier : il était fier des lignes droites qu’il avait travées sans que sa volonté fût intervenue

 Le pire= l’absence de révolte ; la résignation→acceptation : on cède au bruit comme on cède à la guerre – on se laisse aller aux machines→Leur position est symbolique : penchés, baisser la tête = soumis aux machines.→Céline critique cette résignation à l’humiliation : C’est pas la honte qui leur fait baisser la tête.   – On a du mal à se dégoûter de sa substance  (de soi-même) ; un instinct de préservation qui nous fait accepter l’état le plus vil→ même le  contremaître, discrédité, possède une qualité : « bien patient » : résignation

 aucune revendication – cf. répétition de muselerCondition tragique → catastrophe tragique :  elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers… →L’homme est condamné à un travail parcellisé qui perd son sens (passer des petites chevilles  à l’aveugle d’à côté qui les calibrait, lui, depuis des années, les chevilles, les mêmes.) L’homme est un aveugle qui court à son destin sans plus être conscient de lui-même. Il est le  jouet d’un destin absurde, happé par le rythme aliénant et répétitif de la chaîne : mes minutes,  mes heures, mon reste de temps… = condamnation à perpétuité, pris dans les engrenages de la machine (infernale)→ L’ouvrier est un Sisyphe on tourne dedans et avec les machines et la terre. Tous ensemble.ð La condition tragique est renforcée (dernier paragraphe) par le fait que le « je » intervienne dans ce texte,  qui offrait  tout d’abord une vue globale

 

    

  1. III.     Le rapport de l’homme à l’univers (l’altérité)
    1. Le rapport à l’environnement
 

Céline

Steinbeck

Rapport à l’environnement= perte d’un contact / indifférence au monde (de l’homme au monde ; du monde à l’homme) Usine univers sans spiritualité : l’homme n’est plus que viande, qui ne parvient pas à se dégoûter de sa substance, même devenue vile. Déshumanisation de l’ouvrierð  Déshumanisation qui entre dans une perspective plus large d’une philosophie de l’existence  (matérialisme)

La vie au dehors

Société matérialiste où il vit dorénavant : il faut abolir la vie du dehors . Tout ça pour participer à une société de consommation qui ne produit plus que du matériel au détriment de la spiritualité (On l’aimait pas assez telle quelle était. Faut en faire un objet, du solide.)

 

 relation  à la terre.→ inversion : les éléments naturels (le tonnerre) sont seulement métaphoriques, sans réalité. La terre, tout comme l’homme, est digérée par la machine : … ne faisait plus qu’un avec l’air et la terre.→L’homme perd tout contact sensuel  avec la terre qu’il cultive ::  il ne pouvait pas voir la terre telle qu’elle était, ne pouvait pas sentir ce que sentait la terre. (….)n’avait écrasé entre ses paumes.. n’avait laissé couler la terre entre ses doigts

 il perd tout contact sentimental : ni aimée  ni haïe .Elle lui est indifférente : il n’aimait pas plus la terre… sans passion

→ Reste une  une perspective de rendement économique  (cf. banque).  Mais il est indifférent à son état de fécondité ou stérilité : si les jeunes plants se fanaient… pluies diluviennes

ð  Pour parodier Vercors,  l’homme est devenu un « animal dénaturé », qui ne fait plus corps avec la nature.

 

→ Steinbeck rappelle pourtant  l’omnipotence de la terre  (la puissance de la terre.  L’étendue de son pouvoir).  Elle est démiurgique, car liée à la fécondité, aux sources vitales : chaleur – eau – fertilité : graine – croissance – mottes chaudes – couler la terre. Elle est d’ailleurs personnifiée (ce que sentait la terre… ni sentir la chaleur de…), comme une divinité qu’ancestralement on célébr(ait) , implor(ait), voire on maudi(ssait)  = imprécations dans les cataclysmes. Ce rapport païen, panthéiste, à la terre,  est perdu : elle n’était l’objet ni de prières ni de malédictions

 

 

  1. Le rapport à l’autre
 

Céline

Steinbeck

Le rapport à l’autre Travail à la chaîne = travail collectif, donc la relation à l’autre est très présente :nous fûmes répartis en files  traînardes ; par groupes – on les perdait les compagnons.  Pessimisme du narrateur (voire cynisme) sur ces relations humaines :

→ rapport à l’autre quasi-impossible : on ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre

→ évolution : du   sourire  au compagnon  à  la perte de lien : dislocation du groupe, décompte progressif : il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine. Un travail qui isole

→ clin d’œil ironique : la formule solidaire  tous ensemble s’applique dorénavant à la condition tragique.

→ Céline semble avoir du dégoût pour l’homme : (vous écoeure…  )mouvement d’ouverture :   de « l’homme » (le conducteur) à « l’homme » (en général).→ tout le rapport humain à l’environnement est altéré :  ouverture sur les consommateurs: Personne n’avait touché la graine… Les hommes mangeaient ce qu’ils n’avaient pas produit, rien ne les liait à leur pain.Il n’y a plus aucun lien charnel avec les éléments .

Où va le travail humain?                       

 →  Voyage au bout de la nuit