Archives mensuelles : octobre 2013

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Jean Cayrol : Nuit et Brouillard

Jean Cayrol, Nuit et Brouillard, 1946

  • Extrait 1

 Même un paysage tranquille ; même une prairie avec des vols de corbeaux, des moissons et des feux d’herbe ; même une route où passent des voiture, des paysans , des couples, même un village pour vacances avec une foire et un clocher, peuvent conduire tout simplement un camp de concentration.

Le Struthof, Orianenbourg, Auschwitz, Neuengamme, Belsen, Ravensbruck, Dachau; Mathausen furent des noms comme les autres sur des cartes et des guides,

Le sang a caillé, les bouches se sont tues ; les blocks ne sont plus visités que par une caméra, une drôle d’herbe a poussé et recouvert la terre usée par !e piétinement des concentrationnaires, le courant  ne passe plus dans les fils électriques ; plus aucun pas que le nôtre.

1933, la machine se met en marche.

Il faut une nation sans fausse note, sans querelle. On se met au travail. Un camp de concentration se construit comme un stade ou un grand hôtel, avec des entrepreneurs, des devis, de la concurrence, sans doute des pots de vin.

Pas de style imposé, c’est laissé à l’imagination: style alpin, style garage, style japonais, sans style. Les architectes inventent calmement ces portes destinées à n’être franchies qu’une seule fois.

Pendant ce temps là, Burger, ouvrier allemand, Sterne, étudiant juif vivant à Amsterdam, Schmulszki, marchand de Cracovie, Annette, lycéenne de Bordeaux, vivent leur vie de tous les jours sans savoir qu’ils ont déjà, à mille kilomètres de chez eux une place assignée.

Et le jour vient où leurs blocks sont terminés, où il ne manque plus qu’eux. Raflés de Varsovie. Déportés de Lodz, de Prague, de Bruxelles, d’Athènes, de Zagreb, d’Odessa ou de Rome, internés de Pithiviers, raflés du Vel’d’Hiv’, résistants parqués à Compiègne, la foule des pris sur le fait, des pris par erreur, des pris au hasard, se met en marche vers les camps.

Trains clos, verrouillés, entassement des déportés à cent par wagon, ni jour ni nuit, la faim, la soif, l’asphyxie, la folie. Un message tombe, quelquefois ramassé. La mort fait son premier choix. Un second est fait à l’arrivée dans la nuit et le brouillard.

  • Extrait 2

Au moment où je vous parle, l’eau froide des marais et des ruines remplit le creux des charniers, une eau froide et opaque comme notre mauvaise mémoire.

La guerre s’est assoupie, un œil toujours ouvert.

L’herbe fidèle est venue à nouveau sur les Appel-platz autour des blocks.

Un village abandonné, encore plein de menaces.

Le crématoire est hors d’usage. Les ruses nazies sont démodées.

Neuf millions de morts hantent ce paysage.

Qui de nous veille de cet étrange observatoire pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux? Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ? Quelque part, parmi nous, il reste des kapos chanceux, des chefs récupérés, des dénonciateurs inconnus.

Il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s’éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire, nous qui feignons de croire que tout cela est d’un seul temps et d’un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin.

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David Rousset : L’univers concentrationnaire

David Rousset, L’univers concentrationnaire, 1946

Extrait 1 :

DIEU A DIT QU’IL Y AURAIT UN SOIR ET UN MATIN

 Tous les matins, avant l’aube, le marché des esclaves. Les Gummi frappent les crânes, les épaules. Les poings s’écrasent sur les visages. Les bottes tapent, tapent, et les reins sont noirs et bleus et jaunes. Les injures tonitruent. Des hommes courent et se perdent dans les remous. D’autres pleurent. D’autres crient. Les concentrationnaires se cognent, s’enrouent de jurons, se chassent d’un Kommando à l’autre. L’aube lentement froide, en quelque saison que ce soit. Les équipes de travail se forment. Kapos et Vorarbeiter , des négriers. Leur alcool du matin: frapper, frapper jusqu’à la fatigue apaisante. A quatre heures, le sifflet mitraille le sommeil. La matraque secoue les lenteurs. L’atmosphère du dortoir est gluante. Les insultes installent la journée dans les cerveaux, en français, en russe, en polonais, en allemand, en grec. La longue attente heurtée, bousculée, criarde, pour le pain et l’eau tiède. Maintenant, sur cinq, zu fünf. Un peu avant six heures, le S. S. va passer en revue les équipes de travail. II se tient là, devant les hommes gris, un poing sur la hanche, les jambes écartées, le fouet, une longue lanière de cuir tressée, dans l’autre main. Les bottes brillent, claires, nettes, sans une trace de boue.

La dure et lente journée faite d’anxieuse attente et de faim. Pelles, pioches, wagonnets, le sel épais dans la bouche, dans les yeux, les blocs à enlever, les rails à placer, le béton à fabriquer, transporter , étendre, les machines à traîner, et S. S., Kapos, Vorarbeiter , Meister, sentinelles, qui frappent jusqu’à la fatigue apaisante.

Lorsque les Américains approcheront, ce sera la fuite obligatoire, insensée, vers nulle part. Des wagons de cent cinquante, cent soixante hommes, une faim hideuse au ventre, la terreur dans les muscles. Et, la nuit, les Hreftlinge s’entretueront pour dix grammes de pain, pour un peu de place. Le matin, les cadavres couverts d’ecchymoses, dans les fossés. A Wrebbein, il faudra monter la garde des morts avec des gourdins et tuer ceux qui mangent cette chair misérable et fétide des cadavres. Des squelettes étonnants, les yeux vides, marchent en aveugles sur des ordures puantes. Ils s’épaulent à une poutre, la tête tombante, et restent immobiles, muets, une heure, deux heures. Un peu plus tard, le corps s’est affaissé. Le cadavre vivant est devenu un cadavre mort.

 

Extrait 2 :

LES ASTRES MORTS POURSUIVENT LEUR COURSE

 L’UNIVERS concentrationnaire se referme sur lui-même. Il continue maintenant à vivre dans le monde comme un astre mort chargé de cadavres.

Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible. Même si les témoignages forcent leur intelligence à admettre, leurs muscles ne croient pas. Les concentrationnaires savent. Le combattant qui a été des mois durant dans la zone de feu a fait connaissance de la mort. La mort habitait parmi les concentrationnaires toutes les heures de leur existence. Elle leur a montré tous ses visages. Ils ont touché tous ses dépouillements. Ils ont vécu l’inquiétude comme une obsession partout présente. Ils ont su l’humiliation des coups, la faiblesse du corps sous le fouet. Ils ont jugé les ravages de la faim. Ils ont cheminé des années durant dans le fantastique décor de toutes les dignités ruinées. Ils sont séparés des autres par une expérience impossible à transmettre.

[…].

Peu de concentrationnaires sont revenus, et moins encore sains. Combien sont des cadavres vivants qui ne peuvent plus que le repos et le sommeil !

Cependant, dans toutes les cités de cet étrange univers, des hommes ont résisté. Je songe à Hewitt. Je songe à mes camarades: Marcel Hic, mort à Dora; Roland Filiatre et Philippe, revenus le corps ravagé, mais leur condition de révolutionnaire sauve. A Walter, à Emil, à Lorenz, hanté de savoir sa femme, elle aussi, dans un camp, et qui cependant jamais ne s’abandonna. A Yvonne, au Dr Rohmer, à Lestin, à Maurice, un communiste de Villejuif, travaillé par la fièvre, mais toujours solide et calme. A Raymond, crevassé de coups et fidèle à sa vie. A Claude, à Marcel, affamés, et tenant haut quand même la dignité de leur jeunesse. A Guy, l’adolescent, à Robert Antelme mon compagnon de travail dans le Paris occupé, et qui revint comme un fantôme, mais passionné d’être. A Broguet, le boulanger, qui sut toujours s’évader dans un rêve enfantin. Pierre, qui, pour vivre, construisit des aventures dangereuses. Veillard, mort à Neue-Bremm. A Paul Faure, si attentif et posé, habile à résoudre les petites choses décisives. A Crémieux, qui, aux pires moments de sa désespérance, ne trahit pas son art. A Martin, mon plus intime compagnon des jours de la mort. Vieillard de soixante-six ans qui pas un instant ne faiblit et finalement remporta la victoire.

Le solde n’est pas négatif.

               L’étude de lalngue comme déclencheur de lecture analytique

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Primo Lévi : Si c’est un homme

 Primo Levi, Si c’est un homme

Préface

 J’ai eu la chance de n’être déporté à Auschwitz qu’en 1944, alors que le gouvernement allemand, en raison de la pénurie croissante de main-d’œuvre, avait déjà décidé d’allonger la moyenne de vie des prisonniers à éliminer, améliorant sensiblement leurs conditions de vie et suspendant provisoirement les exécutions arbitraires individuelles.

            Aussi, en fait de détails atroces, mon livre n’ajoutera-t-il rien à ce que les lecteurs du monde entier savent déjà sur l’inquiétante question de camps d’extermination. je ne l’ai pas écrit dans le but d’avancer de nouveaux chefs d’accusation, mais plutôt pour fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l’âme humaine. Beaucoup d’entre nous, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que « l’étranger, c’est l’ennemi ». Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection latente ; elle ne se manifeste que par des actes isolés, sans lien entre eux, elle ne fonde pas un système. Mais lorsque cela se produit, lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeure d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le Lager ; c’est-à-dire le produit d’une conception du monde poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse ; tant que la conception a cours, les conséquences nous menacent. Puisse l’histoire des camps d’extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d’alarme.

            Je suis conscient des défauts de structure de ce livre, et j’en demande pardon au lecteur. En fait, celui-ci était déjà écrit, sinon en acte, du moins en intention et en pensée dès l’époque du Lager. Le besoin de raconter aux « autres », de faire participer les « autres », avait acquis chez nous, avant comme après notre libération, la violence d’une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires ; c’est pour répondre à un tel besoin que j’ai écrit mon livre ; c’est avant tout en vue d’une libération intérieure. De là son caractère fragmentaire : les chapitres en ont été rédigés non pas selon un déroulement logique, mais par ordre d’urgence. le travail de liaison, de fusion, selon un plan déterminé, n’est intervenu qu’après.

            Il me semble inutile d’ajouter qu’aucun des faits n’y est inventé.

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Robert Antelme : L’espèce humaine

Robert Antelme, L’espèce humaine, 1947

 Il y a deux ans, durant les premiers jours qui ont suivi notre retour, nous avons été, tous je pense, en proie à un véritable délire. Nous voulions parler, être entendus enfin. On nous dit que notre apparence physique était assez éloquente à elle seule. Mais nous revenions juste, nous ramenions avec nous notre mémoire, notre expérience toute vivante et nous éprouvions un désir frénétique de la dire telle qu’elle. Et dès les premiers jours cependant, il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont nous disposions et cette expérience que, pour la plupart, nous étions encore en train de poursuivre dans notre corps. Comment nous résigner à ne pas tenter d’expliquer comment nous en étions venus là ? Nous y étions encore. Et cependant c’était impossible. A peine commencions-nous à raconter, que nous suffoquions. A nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable.

            Cette disproportion entre l’expérience que nous avions vécue et le récit qu’il était possible d’en faire ne fit que se confirmer par la suite. Nous avions donc bien affaire à l’une des réalités qui font dire qu’elles dépassent l’imagination. Il était clair désormais que c’était seulement par le choix, c’est-à-dire encore par l’imagination que nous pouvions essayer d’en dire quelque chose.

            J’ai essayé de retracer ici la vie d’un kommando (Gandersheim) d’un camp de concentration allemand (Buchenwald).

            On sait aujourd’hui que, dans les camps de concentration d’Allemagne, tous les degrés possibles de l’oppression ont existé. Sans tenir compte des différents types d’organisation qui existaient entre certains camps, les différentes applications d’une même règle pouvaient augmenter ou réduire sans proportion les chances de survie.

            […]

            Je rapporte ici ce que j’ai vécu. L’horreur n’y est pas gigantesque. Il n’y avait à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire. L’horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent. Le ressort de notre lutte n’aura été que la revendication, forcenée, et presque toujours elle-même solitaire, de rester, jusqu’au bout, des hommes.

            Le héros que nous connaissons, de l’histoire ou des littératures, qu’ils aient crié l’amour, la solitude, l’angoisse de l’être ou du non-être, la vengeance, qu’ils se soient dressés contre l’injustice, l’humiliation, nous ne croyons pas qu’ils aient jamais été amenés à exprimer comme seule et dernière revendication, un sentiment ultime d’appartenance à l’espèce.

            Dire que l’on se sentait alors contesté comme homme, comme membre de l’espèce, peut apparaître comme un sentiment rétrospectif, une explication après coup. C’est cependant cela qui fut le plus immédiatement et constamment sensible et vécu, et c’est cela d’ailleurs, exactement cela, qui fut voulu par les autres. La mise en question de la qualité d’homme provoque une revendication presque biologique d’appartenance à l’espèce humaine. Elle sert ensuite à méditer sur les limites de cette espèce, sur sa distance à la « nature » et sa relation avec elle, sur une certaine solitude de l’espèce donc, et pour finir, surtout à concevoir une vue claire de son unité indivisible.

  • Extrait 2

 

Il n’y a pas grand’chose à leur dire, pensent peut-être les soldats. On les a libérés. On est leurs muscles et leurs fusils. Mais on n’a rien à dire. C’est effroyable, oui, vraiment, ces Allemands sont plus que des barbares! Frightful, yes, frightful ! Oui, vraiment, effroyable.

Quand le soldat dit cela à haute voix, il yen a qui essayent de lui raconter des choses. Le soldat, d’abord écoute, puis les types ne s’arrêtent plus: ils racontent, ils racontent, et bientôt le soldat n’écoute plus.

Certains hochent la tête et sourient à peine en regardant le soldat, de sorte que le soldat pourrait croire qu’ils le méprisent un peu. C’est que l’ignorance du soldat apparaît, immense. Et au détenu sa propre expérience se révèle pour la première fois, comme détachée de lui, en bloc. Devant le soldat, il sent déjà surgir en lui sous cette réserve, le sentiment qu’il est en proie désormais à une sorte de connaissance infinie, intransmissible.

D’autres encore disent avec le soldat et sur le même ton que lui : « Oui, c’est effroyable! » Ceux-ci sont bien plus humbles que ceux qui ne parlent pas. En reprenant l’expression du soldat, ils lui laissent penser qu’il n’y a pas place pour un autre jugement que celui qu’il porte; ils lui laissent croire que lui, soldat qui vient d’arriver, qui est propre et fort, a bien saisi toute cette réalité, puisque eux-mêmes, détenus, disent en même temps que lui, la même chose, sur le même ton; qu’ils l’approuvent en quelque sorte.

Enfin, certains semblent avoir tout oublié. Ils regardent le soldat sans le voir.

Les histoires que les types racontent sont toutes vraies. Mais il faut beaucoup d’artifice pour faire passer une parcelle de vérité, et, dans ces histoires, il n’y a pas cet artifice qui a raison de la nécessaire incrédulité. Ici, il faudrait tout croire, mais la vérité peut être plus lassante à entendre qu’une fabulation. Un bout de vérité suffirait, un exemple, une notion. Mais chacun ici n’a pas qu’un exemple à proposer, et il y a des milliers d’hommes. Les soldats se baladent dans une ville où il faudrait ajouter bout à bout toutes les histoires, où rien n’est négligeable. Mais personne n’a ce vice. La plupart des consciences sont vite satisfaites et, avec quelques mots, se font de l’inconnaissable une opinion définitive. Alors, ils finissent par nous croiser à l’aise, se faire au spectacle de ces milliers de morts et de mourants. (Plus tard même, lorsque Dachau sera en quarantaine à cause du typhus, il arrivera que l’on mette en prison des détenus qui veulent à tout prix sortir du camp).

Inimaginable, c’est un mot qui ne divise pas, qui ne restreint pas. C’est le mot le plus commode. Se promener avec ce mot en bouclier, le mot du vide, et le pas s’assure, se raffermit, la conscience se reprend.

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Jorge Semprun : L’écriture ou la vie

Jorge Semprun, L’Ecriture ou la vie, 1996

  • Extrait 1

L’essentiel ? Je crois savoir, oui. Je crois que je commence à savoir. L’essentiel, c’est de parvenir à dépasser l’évidence de l’horreur pour essayer d’atteindre à la racine du Mal radical, das radikal Bose.

Car l’horreur n’était pas le Mal, n’était pas son essence, du moins. Elle n’en était que l’habillement, la parure, l’apparat. L’apparence, en somme. On aurait pu passer des heures à témoigner sur l’horreur quotidienne sans toucher à l’essentiel de l’expérience du camp.

Même si l’on avait témoigné avec une précision absolue, avec une objectivité omniprésente – par définition interdite au témoin individuel – même dans ce cas on pouvait manquer l’essentiel. Car l’essentiel n’était pas l’horreur accumulée, dont on pourrait égrener le détail, interminablement. On pourrait raconter n’importe quelle journée, à commencer par le réveil à quatre heures et demie du matin, jusqu’à l’heure du couvre-feu : le travail harassant, la faim perpétuelle, le permanent manque de sommeil, les brimades des Kapo, les corvées de latrines, la « schlague » des S.S., le travail à la chaîne dans les usines d’armement, la fumée du crématoire, les exécutions publiques, les appels interminables sous la neige des hivers, l’épuisement, la mort des copains, sans pour autant toucher à l’essentiel, ni dévoiler le mystère glacial de cette expérience, sa sombre vérité rayonnante : la ténèbre qui nous était échue en partage. Qui est échue à l’homme en partage, de toute éternité. Ou plutôt, de toute historicité.

– L’essentiel, dis-je au lieutenant Rosenfeld, c’est l’expérience du Mal. Certes, on peut la faire partout, cette expérience… Nul besoin des camps de concentration pour connaître le Mal. Mais ici, elle aura été cruciale, et massive, elle aura tout envahi, tout dévoré… C’est l’expérience du Mal radical…

 

  • Extrait 2

En voyant apparaître sur l’écran du cinéma, sous un soleil d’avril si proche et si lointain, la place d’appel de Buchenwald où erraient des cohortes de déportés dans le désarroi de la liberté retrouvée, je me voyais ramené à la réalité, réinstallé dans la véracité d’une expérience indiscutable. Tout avait été vrai, donc, tout continuait de l’être: rien n’avait été un rêve.

En devenant, grâce aux opérateurs des services cinématographiques des armées alliées, spectateur de ma propre vie, voyeur de mon propre vécu, il me semblait échapper aux incertitudes déchirantes de la mémoire. Comme si, paradoxalement à première vue, la dimension d’irréel, le contenu de fiction inhérents à toute image cinématographique, même la plus documentaire, lestaient d’un poids de réalité incontestable mes souvenirs les plus intimes. D’un côté, certes, je m’en voyais dépossédé; de l’autre, je voyais confirmée leur réalité: je n’avais pas rêvé Buchenwald.

Ma vie, donc, n’était pas qu’un rêve.

Cependant, si les images des actualités confirmaient la vérité de l’expérience vécue- qui m’était parfois difficile à saisir et à fixer dans mes souvenirs – elles accentuaient en même temps, jusqu’à l’exaspération, la difficulté éprouvée à la transmettre, à la rendre sinon transparente du moins communicable.

Les images, en effet, tout en montrant l’horreur nue, la déchéance physique, le travail de la mort, étaient muettes. Pas seulement parce que tournées, selon les moyens de l’époque, sans prise de son directe. Muettes surtout parce qu’elles ne disaient rien de précis sur la réalité montrée, parce qu’elles n’en laissaient entendre que des bribes, des messages confus. Il aurait fallu travailler le film au corps, dans sa matière filmique même, en arrêter parfois le défilement: fixer l’image pour en agrandir certains détails; reprendre la projection au ralenti, dans certains cas, en accélérer le rythme, à d’autres moments. Il aurait surtout fallu commenter les images, pour les déchiffrer, les inscrire non seulement dans un contexte historique mais dans une continuité de sentiments et d’émotions. Et ce commentaire, pour s’approcher le plus près possible de la vérité vécue, aurait dû être prononcé par les survivants eux-mêmes : les revenants de cette longue absence, les Lazares de cette longue mort.

Il aurait fallu, en somme, traiter la réalité documentaire comme une matière de fiction.

La séquence d’actualités avait duré trois ou quatre minutes, tout au plus. Cela avait suffi pour me plonger dans un tourbillon de pensées et d’émotions. J’en avais été troublé au point de n’avoir pu prêter au film qui leur succéda qu’une attention sporadique, entrecoupée de rêveries angoissées.

  • Extrait 3

 

Il y aura des survivants, certes. Moi par exemple. Me voici survivant de service, opportunément apparu devant ces trois officiers d’une mission alliée pour leur raconter la fumée du crématoire, l’odeur de la chair brûlée sur l’Ettersberg, les appels sous la neige, les corvées meurtrières, l’épuisement de la vie, l’espoir inépuisable, la sauvagerie de l’animal humain, la grandeur de l’homme ; la nudité fraternelle et dévastée du regard des copains.

            Mais peut-on raconter ? Le pourra-t-on ?

Le doute me vient dès ce premier instant.

Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald. L’histoire est fraîche en somme. Nul besoin d’un effort de mémoire particulier. Nul besoin non plus d’une documentation digne de foi, vérifiée. C’est encore au présent, la mort. Ca se passe sous nos yeux, il suffit de regarder. Ils continuent de mourir par centaines, les affamés du Petit Camp, les Juifs rescapés d’Auschwitz.

            Il n’y a qu’à se laisser aller. La réalité est là, disponible. La parole aussi.

            Pourtant, un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l’expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d’un récit possible mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création, ou de recréation. Seul l’artifice d’un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la réalité du témoignage. Mais ceci n’a rien d’exceptionnel : il en est ainsi de toutes les grandes expériences historiques.

            On peut toujours dire en somme. L’ineffable dont on nous rabattra les oreilles n’est qu’un alibi. Ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire l’amour le plus fou, la plus terrible cruauté. On peut nommer le mal, son goût de pavot, ses bonheurs délétères. On peut dire Dieu et ce n’est pas peu dire. On peut dire la rose et la rosée, l’espace d’un matin. On peut dire la tendresse, l’océan tutélaire de la bonté. On peut dire l’avenir, les poètes s’y aventurent les yeux fermés, la bouche fertile.

            On peut tout dire de cette expérience. Il suffit d’y penser. Et de s’y mettre. D’avoir le temps, sans doute, et le courage, d’un récit illimité, probablement interminable, illuminé –clôturé aussi, bien entendu- par cette possibilité de se poursuivre à l’infini. Quitte à tomber dans la répétition et le ressassement. Quitte à ne pas en sortir, à prolonger la mort, le cas échéant, à la faire revivre sans cesse dans les plis et les replis du récit, à n’être plus que le langage de cette mort, à vivre à ses dépens, mortellement.

Mais peut-on tout entendre ? Le pourra-t-on ? En auront-ils la patience, la passion, la compassion, la rigueur nécessaires ? Le doute me vient, dès ce premier instant, cette première rencontre avec des hommes d’avant, du dehors –venus de la vie-, à voir le regard épouvanté, presque hostile, méfiant du moins, des trois officiers.

Extrait 4

 

            – Tu tombes bien, de toute façon, me dit Yves, maintenant que j’ai rejoint le groupe des futurs rapatriés. Nous étions en train de nous demander comment il faudra raconter, pour qu’on nous comprenne.

            Je hoche la tête, c’est une bonne question : une des bonnes questions.

            – Ce n’est pas le problème, s’écrie un autre aussitôt. Le vrai problème n’est pas de raconter, quelles qu’en soient les difficultés. C’est d’écouter… Voudra-t-on écouter nos histoires, même si elles sont bien racontées ?

            Je ne suis donc pas le seul à me poser  cette question. Il faut dire qu’elle s’impose d’elle-même.

            Mais ça devient confus. Tout le monde a son mot à dire. Je ne pourrai pas transcrire la conversation comme il faut, en identifiant les participants.

            – Ca veut dire quoi, « bien racontées » ? s’indigne quelqu’un. Il faut dire les choses comme elles sont, sans artifices !

            C’est une affirmation péremptoire qui semble approuvée par la majorité des futurs rapatriés présents. Des futurs narrateurs possibles. Alors, je me pointe, pour dire ce qui me paraît une évidence.

            – Raconter bien, ça veut dire : de façon à être entendu. On n’y parviendra pas sans un peu d’artifice. Suffisamment d’artifice pour que ça devienne de l’art !

            Mais cette évidence ne semble pas convaincante, à entendre les protestations qu’elle suscite. Sans doute ai-je poussé trop loin le jeu de mots. Il n’y a guère que Darriet qui m’approuve d’un sourire. Il me connaît mieux que les autres.

            J’essaie de préciser ma pensée.

            – Ecoutez, les gars ! La vérité que nous avons à dire –si tant est que nous en ayons envie, nombreux sont ceux qui ne l’auront jamais ! – n’est pas aisément crédible… Elle est même inimaginable…

            Une voix m’interrompt, pour renchérir.

            – Ca c’est juste ! dit un type qui boit d’un air sombre, résolument. Tellement peu crédible que moi-même je vais cesser d’y croire, dès que possible.

            Il y a des rires nerveux, j’essaie de poursuivre.

            – Comment raconter une vérité peu crédible, comment susciter l’imagination de l’inimaginable, si ce n’est en élaborant, en travaillant la réalité, en la mettant en perspective ? Avec un peu d’artifice, donc !

            Ils parlent tous à la fois. Mais une voix finit par se distinguer, s’imposant dans le brouhaha. Il y a toujours des voix qui s’imposent dans les brouhahas semblables : je le dis par expérience.

– Vous parlez de comprendre… Mais de quel genre de compréhension s’agit-il ?

– Je regarde celui qui vient de prendre la parole. J’ignore son nom mais je le connais de vue. Je l’ai déjà remarqué certains après-midi de dimanche, se promenant devant le block des Français, le 34, avec Julien Cain, secrétaire de Normale Sup. Ca doit être un universitaire.

– J’imagine  qu’il y aura quantité de témoignages … Ils vaudront ce que vaudra le regard du témoin, son acuité, sa perspicacité… Et puis il y aura des documents … Plus tard, les historiens recueilleront, rassembleront, analyseront les uns et les autres : ils en feront des ouvrages savants… Tout y sera dit, consigné … Tout y sera vrai… sauf qu’il manquera l’essentielle vérité,  à laquelle aucune reconstruction historique ne pourra atteindre, pour parfaite et omnicompréhensive qu’elle soit…

Les autres le regardent, hochant la tête, apparemment rassurés de voir que l’un d’entre nous arrive à formuler aussi clairement les problèmes.

      – L’autre genre de compréhension, la vérité essentielle de l’expérience, n’est pas transmissible… Ou plutôt, elle ne l’est que par l’écriture littéraire…

       Il se tourne vers moi, sourit.

–          Par l’artifice de l’œuvre d’art, bien sûr !

  • Extrait 5

 

Jeune soldat de l’armée républicaine, Manuel A. avait connu après la défaite les camps de réfugiés du Roussillon. En 1940, comme des milliers d’autres Espagnols, il avait été incorporé dans une compagnie de travail, sous la férule de l’armée française. Après l’armistice de Pétain, Manuel s’était retrouvé dans un stalag allemand, mêlé – avec tous ses compatriotes se trouvant dans le même cas – aux prisonniers de guerre français. Plus tard, lorsque l’état-major allemand procéda à un classement plus approfondi de la masse de prisonniers en son pouvoir, les quelques milliers d’Espagnols des compagnies de travail furent renvoyés des stalags et transférés à Mauthausen, en tant que déportés politiques.

Manuel A. était un survivant de ce camp. Un revenant, comme moi. Il me racontait sa vie à Mauthausen, le soir, après le dîner, à l’heure du petit verre d’alcool et du cigare des Canaries.

Mais je ne reconnaissais rien, je ne m’y retrouvais pas.

Certes, entre Buchenwald et Mauthausen il y avait eu des différences: dans chacun des camps nazis l’existence des déportés a été soumise à des circonstances spécifiques. L’essentiel du système, pourtant, était identique. L’organisation des journées, le rythme de travail, la faim, le manque de sommeil, les brimades perpétuelles, le sadisme des S.S., la folie des vieux détenus, les batailles au couteau pour contrôler des parcelles du pouvoir interne: l’essentiel était identique. Je ne m’y retrouvais pourtant pas, dans les récits de Manuel A.

C’était désordonné, confus, trop prolixe. ça s’embourbait dans les détails, il n’y avait aucune vision d’ensemble, tout était placé sous le même éclairage. C’était un témoignage à l’état brut, en somme: des images en vrac. Un déballage de faits, d’impressions, de commentaires oiseux.

Je rongeais mon frein, ne pouvant intervenir pour lui poser des questions, l’obliger à mettre de l’ordre et du sens dans le non-sens désordonné de son flot de paroles. Sa sincérité indiscutable n’était plus que de la rhétorique, sa véracité n’était même plus vraisemblable. Mais je ne pouvais rien lui dire, je ne pouvais pas l’aider à mettre en forme ses souvenirs, puisqu’il n’était pas censé savoir que j’avais moi aussi été déporté. Puisqu’il n’était pas question que je lui fasse partager ce secret.

 

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Parcours : Des écrans et des hommes

Titre : Des écrans et des hommes

Quelle place pour l’homme dans notre société numérique ?

 Carole Guérin-Callebout
Collège Mendès france Tourcoing

  

Objet d’étude, thème du programme :

Cette séquence se propose de répondre à une des entrées du programme de 3ème : Formes du récit au XXème et XXIème siècle. Plus précisément, la séquence s’appuie sur des nouvelles et un roman « porteurs d’un regard sur l’histoire et le monde contemporain. »

Le thème retenu est celui de la culture numérique. C’est à partir de celle-ci que la place de l’homme dans le monde d’aujourd’hui sera débattue pour interroger les valeurs fondamentales de l’humanisme à la lumière de notre société contemporaine.

Ce thème sert également de point d’ancrage pour construire un parcours de lecture dans l’anthologie « Itinéraires humanistes pour notre temps » avec un double objectif :

  1.  Eclairer le sens de l’œuvre étudiée en lecture intégrale : No pasaran, le jeu de Christian Lehmann, et plus largement faire résonner les textes entre eux au service de la construction du sens.
  2.  Guider les élèves dans leur réflexion pour interroger le monde : y a-t-il encore une place pour l’homme dans une société dominée par le numérique et dans laquelle chacun se positionne derrière un écran ?

 

Objectifs généraux du projet :

lecture

Un corpus de nouvelles pour lancer la réflexion et construire une problématique d’étude : trois nouvelles extraits du recueil Passage d’enfer de Didier Daeninckx (Solitude numérique, L’écran crevé et Le salaire du sniper)

Un texte ouvroir pour lancer l’étude de l’œuvre intégrale, extrait de l’anthologie : la chute de la nouvelle de Pierre Bordage Fonds d’écran, p. 305

– Le roman de Christian Lehmann qui sera étudiée en œuvre intégrale, No pasaran, le jeu

Un corpus de documents extraits de l’anthologie pour prolonger la réflexion et nourrir le débat  (un extrait du Passeur de Lois Lowry, p. 339, un extrait de la Vingt-Cinquième Heure de Virgil Gheorghiu, p. 295 ; un photogramme extrait du film de Jacques Tati, p. 292)

culture humaniste / histoire des arts

Le jeu : un art au service des hommes ?

Réflexion sur cet autre langage artistique qu’est le jeu et les valeurs humanistes qui lui sont associés.

Ø  Les joueurs de cartes de Otto Dix (étude menée en interdisciplinarité avec le professeur d’Histoire-Géographie)

Ø  Une lecture artistique des jeux vidéos :

 exploitation de l’exposition du Smithsonian American Art Museum « The art of video games »

Types d’écrits travaillés

Des écrits fonctionnels : écrits de travail et écrits de commentaire en relation avec les différentes lectures proposées.

Un écrit long sous la forme d’un écrit argumentatif pour effectuer la synthèse de la séquence.

Des écrits fictionnels au service de la lecture analytique

langue

-Un travail sur la grammaire du discours et la modalisation : le conditionnel et le subjonctif au service de l’expression de sa pensée.

– les subordonnées de condition, de concession et de d’opposition

oral

 Entraînement à l’oral d’Histoire des Arts

De nombreux débats interprétatifs en classe

 

 

Utilisation des TICE :

Utilisation du TNI au service des lectures des textes

Exploitation des ressources numériques en ligne pour aider les élèves à mieux écrire (dictionnaires électroniques…)

Quelques séances en salle pupitre en particulier pour travailler l’Histoire des Arts en allant observer les vidéos à disposition du Smithsonian American Art Museum

Travail en lien avec l’ENT pour enrichir l’espace numérique de la classe avec la mise en ligne des travaux des élèves et en particulier une valorisation de l’expression orale avec des enregistrements des débats via le logiciel Audacity.

 

 

Présentation synthétique de la séquence  puis détail de l’activité et/ou de la séance proposée :

 

Plan synthétique de la séquence, Des écrans et des hommes

 

Les premières séances de la séquence ont pour but de créer un horizon d’attente suffisamment riche pour que les élèves puissent construire un questionnement propice à l’étude intégrale de l’œuvre.

C’est une étape essentielle pour aiguiser la curiosité, créer de l’appétence et lancer le débat.

Séance 1 : séance de restitution de lecture cursive

Lancement de la séquence : restitution de lecture cursive pour construire une problématique de séquence et lancer la réflexion

Notons que la lecture cursive en elle-même avait été introduite, afin d’éveiller la curiosité et le sens critique des élèves, par un débat lancé via un sujet de forum sur l’ENT de l’établissement.

capture page forum

Une lecture du corpus des 3 nouvelles de Didier Daeninckx :

Ø  Solitude numérique : la déchéance d’un couple miné par la place de plus en plus grande de la télévision ; langage et sentiments annihilés par la multiplication des écrans que permet notre technologie.

Ø  L’écran crevé : la capture de tous les écrans par un programme unique mondiale, un reportage relatant un massacre auquel personne n’avait prêté attention….

Ø  Le salaire du sniper : un homme prêt à tout, au nom de la course à l’audimat, pour obtenir un scoop et même si cela doit engendrer une tragédie.

Dans quelle mesure le genre de la nouvelle est propice à la réflexion sur l’homme dans notre société contemporaine ?

Quelle vision du monde Didier Daeninckx donne-t-il à lire ?

Ces nouvelles permettent en effet de s’interroger sur la place des écrans dans notre société et leur impact sur les relations humaine (si les intrigues mettent plus spécifiquement en valeur la place et les usages de la télévision, il est aisé d’élargir le débat aujourd’hui à l’ensemble des écrans avec la multiplication des supports et la diversité des usages).

Séance 2 : séance d’expression écrite et orale

Rédaction d’une interview de Didier Daeninckx, à la manière d’une émission de radio dans laquelle l’auteur parle de son métier et et développe ses idées. Ce travail d’écriture permet d’évaluer la lecture des élèves et le cheminement de leur pensée.

Le travail s’effectue en plusieurs strates, associant strates écrites et orales.

Ø  Un travail d’écriture en plusieurs jets successifs avec une aide apportée aux élèves pour bien exploiter la séance de lecture.

Ø  Un travail de correction et d’enrichissement à partir de l’étude de deux interviews de Didier Daeninkx aboutissant à un travail de correction collective.

Ø  Enregistrement, via le logiciel « Audacity », des deux projets les plus aboutis (cf fichiers audio joints)

-un exemple de production avec Bélinda dans le rôle de la journaliste radio et Angélique dans le rôle de l’attachée de presse de Didier Daeninckx : interview belinda et angélique

– un second exemple de production avec Valentine dans le rôle de la journaliste et Théo dans le rôle de Didier Daeninckx : interview val et théo

Séance 3 : Séance de lecture analytique

Lecture analytique de l’extrait de la nouvelle de Pierre Bordage, Fonds d’écran

Cette lecture s’achève sur l’introduction du roman de Christian Lehmann et de son carnet de lecture.

La seconde partie de la séquence est essentiellement consacrée à la construction du parcours de lecture intégrale du roman de Christian Lehmann.

Séance 4 : Séance d’expression orale

L’objectif de la séance est de lancer un premier débat à partir des impressions de lecture des élèves, tout en exploitant la lecture cursive de l’oeuvre. Un corpus de documents, projetés au TNI, est proposé comme support de l’activité.

Le travail est engagé à partir d’une confrontation de documents (des reproductions des insignes de la Légion Condor Nazie et un extrait du roman, lorsque Gilles et Eric débattent de cette insigne et de ses valeurs).

Les élèves s’appuient également sur leur carnet de lecture complété pour approfondir la réflexion et reconnaître derrière ces symboles le personnage d’Andréas :

          Andréas n’est-il qu’un geek ?

          Est-ce un héros ?

Séance 5 : séance de lecture analytique

Première lecture analytique extraite de l’œuvre :

lecture analytique n°1 (p. 54 à 58 dans l’édition Ecole des loisirs)  « Il se cala dans un recoin du bâtiment.. » à « La mort au combat est la plus belle mort qui soit…. »

Une lecture comme ouverture et invitation à la réflexion :

        Le jeu comme dépassement de soi, comme travestissement de soi

        absence de limite entre le virtuel et le réel

        rythme frénétique

        la question du « fragmeister… »

CCL : quelles valeurs associées au jeu ?

Séance 6 : Séance d’Histoire des Arts

Etude des joueurs de cartes d’Otto Dix, dans le cadre de la thématique, Art, Etat, Pouvoir, à travers l’exploitation du thème du jeu.

Ce tableau, en effet, tout en reflétant l’engagement de l’artiste contre la guerre, place le jeu au centre de la scène et interroge ses valeurs tout en interpelant chacun sur la place que le monde réserve à l’homme.

Le tableau permet ultimement de se demander où se situe l’humanité.

Séance 7 : séance de lecture analytique

La seconde lecture analytique poursuit cette interrogation.

lecture analytique n°2: (p. 143 à 146)  avec une opposition entre le personnage d’Eric, en proie à la terreur et celui d’Andréas, fasciné par son score et les pertes à venir.

          Le jeu peut-il donc déshumaniser ?

// contextualisation : l’assaut de Guernica

          Prolongement de la lecture pour développer la culture humaniste des élèves : présentation du  tableau Guernica de Picasso (en partenariat avec le professeur d’espagnol)

Lecture complémentaire pour renforcer les oppositions, de la dernière scène de jeu de Thierry où réalité et monde virtuel se mêlent (p. 117 « Thierry hésita, saisit les vêtements qu’on lui tendait »… à la fin du chapitre.

Séance 8 : séance de langue

L’objectif est d’étudier les outils de langue qui permettent de mettre en valeur les oppositions entre Eric et Andréas et ainsi de réfléchir à la modalisation du discours et de bien mettre en place les différences entre l’expression de l’opposition et celle de la concession.

Séance 9 : séance de lecture

Quel sens donner finalement au roman ?

lecture analytique n°3 (dans la dernière partie du roman) « Une voix résonna, une voix, que étrangement, il crut reconnaître-  Pio, pio, pio…. »  à  « ils essayèrent mais personne ne répondit »

        Une scène à la fois pathétique et tragique

        Un combat épique

        Lancement de la LA en faisant réécrire la scène comme un compte-rendu que ferait un soldat à sa hiérarchie de la manière la plus neutre possible pour que les élèves se rendre compte de la charge émotionnelle de la scène, de son intensité tragique.

        Symbolique du dragon : élargissement avec étude du tableau «  saint georges contre le dragon ».

        C’est un  combat des forces du Bien contre le Mal.

La dernière partie de la séquence est consacrée à la réalisation d’un bilan et d’un élargissement pour développer la réflexion comme la culture artistique des élèves.

Séance 10 : séance d’expression écrite

L’objectif est d’inviter les élèves à dresser une synthèse de leur lecture pour donner leur vision du monde, monde d’aujourd’hui et demain,  à travers la rédaction d’un écrit argumentatif.

Pour les y aider, un corpus de documents est proposé et étudié, tous extraits de l’anthologie (cf présentation initiale). Tous proposent un certain regard sur le monde de demain. Aux élèves à présent de proposer leur regard sur le monde en précisant la place que l’homme y aura en s’appuyant sur l’ensemble des lectures effectuées. C’est donc bien à un véritable travail de synthèse et de commentaire que les élèves sont conduits :

Y a -il encore une place pour l’homme dans notre société numérique?

Séance 11 : séance d’Histoire des Arts

Une séance appuyée par l’usage des tablettes tactiles

Il s’agit ici de dresser le bilan de tout le parcours en interrogeant la valeur artistique du jeu, et plus précisément le jeu vidéo, dans le cadre de la thématique « Arts, ruptures et continuités ». Les élèves sont invités à enrichir leur jugement sur la technologie numérique à la lumière d’une réflexion à dominante artistique désormais :

Le jeu, expression d’une technologie de pointe,  peut-il devenir un art ?

Pour les aider à dresser ce bilan, les élèves sont tout d’abord invités à consulter un corpus de documents, via leurs écrans et en s’aidant des fonctions tactiles de la tablette (facilité de navigation, zoom…,). Ils sont ainsi confrontés à des documents qui interrogent la dangerosité des jeux -telle qu’elle a déjà été évoquée et débattue dans le parcours de lecture- mais aussi sa valeur artistique.

Chacun est ensuite invité à prendre parti pour lancer un débat en classe avant de produire un écrit pour restituer sa pensée.

 

→Une séance de lecture analytique : la lecture de la chute de la nouvelle de Pierre Bordage, Fonds d’écran

 → Les travaux d’élèves réalisés au terme du parcours de lecture

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Bilan : compétences mobilisées au cours des différentes activités du projet

L’ensemble des compétences du socle seront travaillées au cours de la séquence et plus particulièrement les compétences 1 et 5 : la maîtrise de la langue française et l’acquisition d’une culture humaniste. Le projet permet également de rendre les élèves, plus responsables, autonomes et éclairés et ainsi de travailler les champs de compétences 7 et 8 du socle.

 

 Un extrait d’interview de Didier Daeninckx

Entretien Aubervillers 1994. Extrait de Les Cahiers de Colette

François Maspero.- Le métier d’écrivain : qu’est-ce que cette expression évoque pour vous ?

Didier Daeninckx .- Quand je faisais le métier d’imprimeur, c’était une préoccupation qui se limitait à la journée de travail et elle s’accompagnait toujours d’une aspiration à autre chose. En revanche, le métier d’écrivain tel que je le pratique depuis dix ans se cofond complètement avec ma vie. Je ne fais pas de différence entre ce que je vis et l’écriture. Je sens toujours une nécessité de rencontrer d’abord dans la vie les problèmes qui vont se poser dans le roman. L’écriture et la vie font un bloc. Avant, la vie commençait après le travail. Aujourd’hui, toutes les expériences quotidiennes se confondent : les balades pour aller faire les courses, ce que me raconte ma fille de l’école, la lecture des journaux, la télévision, tout ce que je fais peut devenir de la matière romanesque. C’est une quête à longueur de journée.

F.M.-Mais est-ce un métier qui s’apprend ?

J’ai connu deux moments d’apprentissage de l’écriture.

Le premier se situe en 1977. À l’époque, comme beaucoup de monde, j’étais dans une déprime absolue, je n’arrivais plus à me lever pour aller au travail, la carcasse refusait de suivre le mouvement. Si je m’en suis sorti, c’est en devenant pour la première fois écrivain, et rien que cela, pendant quatre mois. J’ai écrit un très mauvais roman, Mort au premier tour. Ce livre a été avant tout une manière de pouvoir continuer à vivre. Chaque mot que j’écrivais, chaque tiret que je mettais étaient un apprentissage. Je n’avais jamais rien écrit, avant, qui dépassait la page et tout d’un coup je me trouvais affronté à la longue durée : je ne savais pas comment un personnage ouvrait une porte, comment il parlait, comment il prenait la parole, je ne savais pas comment dire les couleurs, comment commencer un chapitre, comment le terminer, bref je ne savais absolument rien faire. Quatre mois d’enfer. Mais je crois que là, j’ai appris véritablement : j’essayais de trouver des solutions et, même si je ne les trouvais pas toujours, au moins les vrais problèmes m’apparaissaient par centaines. Ensuite, le livre est resté inédit pendant cinq ans : il a été refusé par neuf éditeurs avant d’être accepté par le Masque. Pendant ce temps, j’ai totalement arrêté d’écrire. Et quand la publication de mon roman m’a redonné l’envie d’en faire un autre, je me suis aperçu que beaucoup de problèmes étaient résolus. Par la lecture, par le fait que le cerveau continue à travailler. Quantité de choses qui m’apparaissaient insolubles étaient devenues de l’ordre de l’évidence. La peur de la page blanche ne s’est plus posée : je sèche comme tout le monde, mais ce n’est pas un blocage.

Le deuxième moment, c’est en 1985, quand j’ai abordé une autre forme littéraire : la nouvelle. Je n’écrivais pas de nouvelles, on disait que c’est la forme la plus difficile, je croyais que c’était vrai. Un jour, on m’en a demandé une et j’ai mis un mois à écrire une dizaine de pages :  Le Point de vue de la meurtrière, l’histoire d’un poilu de 14-18, dans une casemate, qui voit défiler le monde entier par cette fente étroite. De parvenir à faire entrer le monde entier par la meurtrière et à tout faire tenir dans dix pages, m’a complètement décrispé.

Hors ces deux moments, mon fonctionnement c’est l’obsession. C’est de penser des semaines et des mois à un sujet, des personnages, une histoire, puis de laisser les choses, la vie de tous les jours m’apporter des éléments de réponse, des petits morceaux de scotch entre des personnages… Et quand le roman est prêt dans ma tête, je me mets au travail pour écrire. Il y a des cas où la mise en tête s’est faite en un mois, après quoi le roman s’est écrit dans la foulée. Ou d’autres où, comme maintenant, cela fait trois ans que j’ai un projet de roman, c’est une préoccupation constante.

Document joint

Le carnet de lecture pour guider les élèves dans leur lecture du roman de Christian Lehmann

Carnet de lecture : No pasaran, le jeu

      carnet_de_lecture_no_pasaran (fichier texte)

 

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Lecture de Fonds d’écran, de Pierre Bordage


lecture de la chute de la nouvelle de Pierre Bordage, Fonds d’écran

Extrait du parcours Des écrans et des hommes, niveau 3ème

 

 

Cet extrait de l’anthologie a été choisi comme texte « ouvroir ». La lecture analytique de cet extrait permet de lancer avec efficacité la lecture intégrale à venir tant les résonances sont nombreuses entre cette nouvelle et le roman de Christian Lehmann (cf extrait du roman joint)

 

  • La rencontre avec le texte

Volontairement, cette étape a fait l’objet d’une préparation particulière pour que les élèves soient aussi éveillés que possible pour lire l’extrait, soient prêts surtout à l’interroger. La rencontre a donc été différée et préparée par la lecture de la première partie de la nouvelle.

1-      Un questionnement sur le titre

Une mise à jour des représentations des élèves lance la séance.

–       Les élèves expliquent facilement ce que représente un fond d’écran pour eux : un espace sur un téléphone, un espace intime surtout, personnalisable à souhait.

–       Une attention particulière à l’orthographe du titre permet alors de solliciter facilement les élèves : pourquoi l’auteur a-t-il choisi le pluriel ? Des hypothèses de lecture sont établies.

2-      La lecture de la première partie de la nouvelle, sous forme d’une lecture cursive

Il s’agit ici de s’assurer que les élèves comprennent leur lecture, puis de les aider à renouveler leurs attentes de lecture en interrogeant les visées du texte.

Cette première étape permet ainsi d’identifier clairement qui est le personnage principal et les liens qu’il entretient avec les autres personnages de la nouvelle. Elle permet aussi de préciser les conditions dans lesquelles le téléphone a été acquis, des conditions pour le moins étranges, et enfin de s’interroger déjà sur le genre de la nouvelle afin de construire de nouvelles attentes de lecture :

–       S’agit-il d’une nouvelle réaliste, à la manière de celles écrites par Didier Daeninckx ?

–       S’agit-il d’une nouvelle fantastique ? ou encore d’une nouvelle de science-fiction ?

–       A quoi faut-il donc s’attendre ?

 

  • La construction du sens

1-      Lecture orale et expressive de la chute de la nouvelle

L’expressivité de cette première lecture est essentielle pour inviter les élèves à construire le sens de cette lecture.

Celle-ci est lancée en demandant aux élèves de préciser les sentiments du personnage principal. Le débat se construit naturellement entre les élèves qui interviennent pour faire valoir leur point de vue sur le personnage. L’objectif est d’établir clairement la gradation des sentiments et surtout les différents degrés de peur ressentis par Balthazar jusqu’à l’effroi le plus total.

2-      Le questionnement du texte au service de son interprétation

Ce premier débat permet de renouveler le questionnement sur le texte et de préciser le projet de lecture : Le téléphone est-il objet de toutes les convoitises ou de toutes les répulsions ? Un objet qui permet de mieux communiquer ou un emprisonnement ?

Un mouvement de relecture du texte est relancé afin de répondre à ces questions en s’appuyant sur une étude approfondie de la nouvelle :

–       Quel est donc son genre ?

–       Cette chute est-elle réussie et pourquoi ?

–       Que penser de cette fin ouverte ? Quelles sont les intentions de l’auteur ?

 

  • Bilan et réinvestissement

Les élèves sont invités tout d’abord à retrouver les points communs entre ce texte et le corpus de nouvelles de Didier Daeninckx .

La confrontation des réponses permet de construire une première problématique de lecture pour introduire le roman de Christian Lehmann :

Nos écrans sont-ils nos « amis » (à la manière de facebook) ou nos ennemis ? Faut-il en avoir peur ? 

                                           ← Des écrans et des hommes

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Montaigne : Des Cannibales

Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation1, à ce qu’on m’en a, rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vray, il semble que nous n’avons autre mire2 de la vérité et de la raison  que l’exemple et idée des opinions et usances du païs où nous sommes. Là est toujours la parfaicte religion, la parfaicte police3, perfect et accomply usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de mesme que nous appelons sauvages les fruicts que nature, de soy et de son progrez4 ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérez par nostre artifice5 et détournez de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutost sauvages. En ceux là sont vives et vigoureuses les vrayes et plus utiles et naturelles vertus et propriétez, lesquelles nous avons abastardies en ceux-cy, et les avons seulement accommodées au plaisir de nostre goust corrompu. [C] Et si pourtant, la saveur mesme et délicatesse se treuve à nostre gout excellente, à l’envi6 des nostres, en divers fruits de ces contrées-là, sans culture. [A]Ce n’est pas raison que l’art gaigne le point d’honneur sur notre grande et puissante mere nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions, que nous l’avons du tout estouffée. [ …]

 [A] Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir receu fort peu  de façon de l’esprit humain, et estre encore fort voisines de leur naïfveté7 originelle. Les loix naturelles leur commandent encores, fort peu abastardies par les nostres ; mais c’est en telle pureté, qu’il me prend quelque fois desplaisir de quoy la cognoissance n’en soit venuë plustost, du temps qu’il y avoit des hommes qui en eussent sceu mieux juger que nous.

MONTAIGNE, ESSAIS  (I, 3 1)  « Des cannibales »

1: Les indigènes des Antilles et de l’Amérique du Sud ;
2 : Point de mire, critérium ;
3 : Forme de gouvernement ;
4 : Marche ;
5 : Art ;
6: En rivalité avec, à l’égal de ;
7 : Naturel

 

 

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Autour du mot « barbare »

Contexte :

  • Séquence sur la découverte de l’autre : la question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIe à nos jours.

L’objectif de la séance est de montrer, comme le fait Montaigne dans son essai, que s’interroger sur les sens du mot « barbare » revient à questionner les regards portés sur l’autre et mettre en évidence la relativité de nos jugements.

  • Supports :

Montaigne, Essais, « Des cannibales » (I, 31) ; article « barbare » du Littré en ligne

Objectifs :

 

  • Culture :

Analyser le regard humaniste sur l’autre.

  • Lecture :

Lire et interpréter un article de dictionnaire ;

Procéder à une lecture analytique de l’extrait des Essais en s’aidant du travail réalisé sur l’article de dictionnaire.

  • Ecriture :

Ecrit réflexif : rédiger un article de dictionnaire en s’appuyant sur la lecture du texte de Montaigne.

Ecrit de commentaire : rédiger un texte argumentatif.

  • Étude de la langue :

S’interroger sur la polysémie du langage et établir des relations avec l’histoire des idées : le lexique de l’altérité.

 

1ère étape : Etude de l’article « barbare » du Littré

On étaie la lecture de l’article par un petit travail de recherche :

  • Chercher les différentes significations du mot “barbare”; Formuler une phrase illustrant chacune des acceptions du terme ;
  • Trouver un antonyme pour chacune des acceptions ;
  • Préciser dans quel sens on emploie le terme aujourd’hui.
BARBARE(bar-ba-r’) adj.
1°Étranger, par rapport aux Grecs et aux Romains. Substantivement. Les barbares de la Germanie. Il se réfugia dans le pays des barbares. Songez qu’une barbare en son sein l’a formé [Hippolyte], RAC. Phèd. III, 1. Par extension, non civilisé, mal civilisé. Fléaux du nouveau monde, injustes, vains, avares, Nous seuls de ces climats nous sommes les barbares, VOLT. Alz. I, 1. Quelque respect que j’aie pour ce barbare de grand homme [Pierre 1er], VOLT. Lett. d’Argental, 15 juin 1759. Familièrement. C’est un barbare, pour désigner un homme sans goût et incapable d’apprécier les beautés de l’art. 2°Sauvage, grossier. Peuples sauvages et barbares. Siècle barbare. Des oreilles barbares. Tertullien est le Bossuet africain et barbare, CHATEAUB. Génie, I, 1. D’un seul nom quelquefois le son dur et bizarre Rend un poëme entier ou burlesque ou barbare, BOILEAU, Art poét. III. Barbare s’est dit du genre gothique, de l’art du moyen âge. 3°Contraire aux règles de la langue. Parler d’une manière barbare. 4°Qui est sans humanité, cruel. Un homme barbare. Au combat qui pour toi se prépare, C’est peu d’être constant, il faut être barbare, RAC. Bérén. IV, 4. Barbare destinée, RAC. Esth. I, 3. Substantivement, homme cruel, inhumain. C’est un barbare qui se plaît à faire souffrir les animaux. Je veux qu’avec tout l’art et toutes les caresses Qui pourraient d’un barbare arracher des tendresses…. ROTROU, Bélis. IV, 1. XIVe s. Barbares, tous ceulz qui sont de estrange langue, ORESME, Thèse de MEUNIER. XVIe s. Ceste ordonnance [assiette d’un camp], dit-il, encore qu’elle soit d’hommes barbares, n’est point barbare pourtant, AMYOT, Pyrrhus, 34. Antigonus chassa son filz à coups de baston, en l’appelant cruel meurtrier et barbare inhumain, AMYOT, ib. 77. Ou qu’il usera d’un mot barbare en sa narration, AMYOT, de la Mauv. honte, 19. Barbarus ; en grec, proprement étranger. Dans l’ancien français, on employait barbari comme en provençal : la gent barbarie, Ronc. p. 111 ; et, au XVIe siècle, barbaresque, au lieu de barbare : l’horreur barbaresque qu’il y a à une telle action, MONT. I, 240.

Article barbare du Littré

 

 

2ème étape : Lecture analytique du texte de Montaigne

1)    Entrée dans le texte : Avant de procéder à la lecture intégrale d’un texte qui ne manquera pas de paraître très difficile aux élèves, on amorce l’analyse en leur demandant de reformuler à l’oral la première phrase (jusqu’à “usage”) :

  • Or” : Montaigne récuse l’opinion partagée par ses contemporains qui consiste à considérer les indigènes d’Amérique du Sud comme des barbares et des sauvages ;
  • “sinon que” : introduit l’idée de restriction et la formulation d’une sentence présentée comme une vérité générale : “chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage”.

 

Le travail réalisé précédemment sur l’article de dictionnaire permet d’éclairer la stratégie de Montaigne : il se sert des différentes acceptions du terme “barbare” : 1°) sauvage, grossier = sens qu’il récuse ; 2°) étranger, autre ; et critique notre tendance naturelle à confondre les deux. Ainsi, l’objectif de Montaigne est de démontrer que ces hommes ne nous sont pas inférieurs et pour ce faire, il va proposer une nouvelle définition du terme “barbare”.

 

2)    On peut dès lors procéder à la  lecture de la suite du texte. On invite les élèves à surligner les oppositions lexicales (qui correspondent en partie aux acceptions travaillées à partir de l’article de dictionnaire)

 

3)    Ce travail de repérage aboutit au bilan suivant :

    Bilan
  •   L’opposition barbarie / civilisation s’élargit à l’opposition nature / culture
  •   Montaigne remet en question la notion de progrès associé à la civilisation : du côté de ces hommes restés proches de la nature se trouvent l’innocence et la pureté, alors que sont associées à la civilisation les idées d’artifice, de détournement et de corruption.

 

3ème étape : évaluer les acquis : de la lecture à l’écriture

 

Ecriture fonctionnelle de synthèse : Rédiger l’article « barbare » dans le dictionnaire de Montaigne

Ce travail permet de définir le projet de lecture définitif

On propose aux élèves de réaliser le bilan de la lecture analytique du texte de Montaigne en rédigeant l’article “barbare” que celui-ci aurait pu réaliser.

On élabore les consignes collectivement :

-rappel du sens étymologique du terme,

définition selon le sens que Montaigne donne à ce terme, illustrée par une ou deux citations du texte, synonymes, antonymes. La définition proposée doit évidemment faire apparaître l’idée… que le terme barbare désigne les peuples qui ont su rester proche de l’état de nature / respecter les lois de la nature / vivre en harmonie avec elle Par opposition à l’homme civilisé qui a abandonné ces lois naturelles / les a corrompues.

Plusieurs citations du texte peuvent servir à illustrer ces idées : Ce n’est pas raison que l’art gagne le point d’honneur sur notre grande et puissante mère Nature.”, “Ces nations me semblent donc ainsi barbares pour avoir reçu fort peu de leçon de l’esprit humain et être encore fort voisines de leur naïveté originelle.”…

 

4ème étape : à la maison, lecture d’un extrait de Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil de Jean de Léry (1578)

1) Dégager 2 ou 3 étapes dans le texte et leur donner un titre.

2) Reprise en classe : formuler en une ou deux phrases la morale du texte : “Le barbare n’est pas celui qu’on croit” ; “il ne faut pas reprocher aux autres ce que l’on fait soi-même” ; “il ne faut pas se fier aux apparences” ; “chacun appelle barbare celui qui ne lui ressemble pas” etc.

3) On demande aux élèves de justifier le choix de ces titres.

4) Prolongement : recherche lexicale (ethnocentrisme, discrimination, xénophobie)

 

5ème étape : Evaluation

A partir de la lecture d’un article du Monde :   “Le retour des zoos humains” de Pascal Blanchard et Olivier Barlet (01/09/05), on demande aux élèves de rédiger un texte argumentatif :

Consigne :

Vous rédigerez un texte d’une page environ pour dénoncer les exhibitions de populations considérées encore aujourd’hui comme “sauvages”. Vous utiliserez les mots “xénophobie, ethnocentrisme, discrimination” et vous vous appuierez sur les textes de Montaigne et de Léry  ainsi que  sur votre lecture du roman de Daëninckx.

 6ème étape : Retour sur le texte de Montaigne :

On propose quelques passages extraits des copies des élèves et on fait le point sur les stratégies adoptées :

– registre polémique, les arguments développés mettent l’accent sur l’idée que tous les hommes sont égaux, que l’on présente l’autre comme un sauvage parce qu’on en a peur, que ce n’est pas parce que certains peuples vivent encore en harmonie avec la nature qu’ils doivent être assimilés à des animaux et exhibés dans des zoos…

Peu d’exemples, on revient donc sur le roman de Daëninckx pour illustrer précisément le propos et on invite les élèves à choisir une ou deux citations des textes de Montaigne et de Léry pour les intégrer à l’argumentation.

On aboutit à une 1ère définition très générale du genre de l’essai : porte sur des questions dont la portée est générale (l’homme, l’autre, le pouvoir…), produire un effet sur le destinataire (convaincre), une discussion d’idées (délibératif).

 Dans un 2ème temps, on demande à la classe de comparer la stratégie adoptée par les élèves (qui est aussi celle des auteurs de l’article du Monde) avec celle de Montaigne :

 

  • Même si la réflexion porte sur les Indiens d’Amérique, il n’est pas question de leur apparence, ni de leurs coutumes dans le texte (contrairement au texte de Léry) ;
  • Il s’appuie sur une redéfiniton du terme “barbare” ;
  • L’auteur semble digresser : il développe la comparaison avec les fruits sauvages, mais on passe d’un jugement de goût à un jugement moral : ce jugement s’applique donc aux hommes : une remise en question de la civilisation.

2ème définition de l’essai : rôle de l’oeuvre de Montaigne  + l’expression d’une subjectivité  + stratégie du détour

 

L’exposé : à la maison, les élèves doivent répondre à la question : “Quelle stratégie Montaigne met-il en oeuvre pour dénoncer l’ethnocentrisme de ses contemporains ?” en proposant un nouveau parcours de lecture dans le texte

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