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Etre né quelque part

ETRE NE QUELQUE PART

Véronique Perrin

Lycée Voltaire, Wingles

Niveau : 1ère générale et technologique

 

Objet d’étude, thème du programme : poésie et quête de sens (du XVIème S. à nos jours)

 

Objectifs généraux du projet :

 « Etre né quelque part

c’est partir quand on veut

Revenir quand on part  »

( Maxime Le Forestier)

Objectif : pour qui sait d’où il vient, si partir est un choix, l’éloignement est enrichissement. Mais l’exil peut être une déchirure, un arrachement. Depuis Ovide, la poésie lyrique chante les affres du déracinement, tout comme le lien consubstantiel  de l’homme à sa terre. D’autres, peuples nomades, vantent leur errance. Différentes manières d’habiter le monde ; autant de voix qui s’élèvent poétiquement. Cette séquence propose un petit parcours  de ces  attitudes humaines variées,   via la poésie moderne.

Problématiques : Comment la poésie aide-t-elle l’homme à habiter le monde ? en quoi l’écriture poétique peut-elle aider  l’écrivain à traverser l’épreuve de l’exil ?

Cette séquence, qui privilégie la poésie moderne, propose un rapide détour par la tradition pour mieux montrer la singularité actuelle. Elle se consacre  à la fonction lyrique mais  certains choix permettent de faire émerger la piste de l’engagement.

Enfin, conçue pour être étudiée en début d’année, elle s’attache à deux objectifs méthodologiques restreints, à l’écrit  : la question sur corpus et le commentaire littéraire.

Lecture

Texte-ouvroir : Cù Huy Cân, « Empreinte fossile de feuille », cité dans l’anthologie humaniste  (P.37)

→ la traduction rendant difficile l’étude d’un poème ,  ce texte a été choisi pour prendre contact  avec le lyrisme  et le rapport poétique au monde  

Lectures analytiques :

Aimé Césaire,  Cahier d’un retour au pays natal (1947),   cité dans l’anthologie humaniste  (P.42/43) ;

David.Diop, « Le Renégat », Coups de pilon  (1956)  ;  exploitation du texte 

Abdellatif Laabi,  Le Spleen de Casablanca (1996)  ; exploitation du texte 

Guillaume Apollinaire, « L’émigrant de Landor road »Alcools, 1913

-Documents complémentaires pris dans l’anthologie humaniste  :

R. Philombe, « L’homme qui te ressemble » cité (P.131) ;

Jenuz Duka, « Le toit de notre maison », cité (P.31) ;

Gil Ben Aych , « Le Livre d’étoile » cité  (P.113) ;

Fatou Diome, « Le ventre de l’Atlantique », cité  (P.178) ;

Amin Maalouf, « Origines », cité (P.189)

Autres documents complémentaires  : Ch. Baudelaire, « Bohémiens en voyage », Les Fleurs du mal (1857)  ; Apollinaire « La Tzigane », Alcools (1913)  ; L. Aragon, « L’Etrangère », Le Roman inachevé (1956) ;  M. Senlis, Les Nomades (1961)

Culture humaniste Se familiariser avec le Concept de négritudeAudition de chansons / de poèmes mis en musique autour des thèmes de  l’exil et de l’errance- Histoire des arts : incursion dans le monde de la sculpture : Guy Lorgeret , « Femmes nomades » et autres oeuvres.
Types d’écrits travaillés – Travailler la méthode du commentaire littéraire- Travailler la méthode de la question sur corpus (type bac)
Langue – Travail de vocabulaire : autour du mot « négritude » et de quelques expressions imagées d’Afrique francophone, autour du mot « exil »
Oral – Mise en voix / récitation du texte de Philombe, cité dans l’anthologie (P.131)
Utilisation des Tuic – Utilisation du TNI pour pratiquer la lecture analytique collégialement- Recherche documentaire  sur le concept de  négritude- Recherche Internet (site TV5 monde) : les expressions imagées d’Afrique francophone- Recherche des œuvres de Guy Lorgeret.

Présentation synthétique de la séquence  :

1/ L’enracinement

Séance 1 : Découverte d’un texte poétique : Cù Huy Cân, « Empreinte fossile de feuille » (anthologie P.37)

Par une simple lecture-plaisir, l’objectif est d’entrer dans la séquence en commençant à construire la notion de lyrisme : la  relation  du dernier vers au reste du poème permet de voir la plongée dans l’intériorité du mineur (expression des sentiments personnels). S’ensuit alors une recherche de marques lyriques permettant d’exalter les sentiments  : anaphores, rythme des énumérations,  images… Mais le texte permet aussi de montrer ce qu’est un regard poétique porté sur le  monde : l’homme est en symbiose avec l’univers  : son cœur bat à l’unisson avec   la feuille (qui) palpite encore dans sa main,  avec le charbon (qui) palpite aussi. Les éléments naturels sont en communion avec (le) moi du mineur. Relation analogique, par sympathie, où chaque organisme reproduit  le même modèle. Ce rapport au réel permet de l’enchanter. L’homme est consubstantiel au monde et il en tire une grande  plénitude, il donne  un sens à sa vie (aussi misérable soit-elle : celle d’un mineur). Occasion de montrer que le lyrisme n’est pas forcément élégiaque. C’est le chant du monde.

Le mineur  ne fait qu’un avec le lieu où il travaille. Il abolit le temps (continuité des espèces et de la création depuis deux cents millions d’années),  et  participe au grand tout : Je suis riche de l’âge de la feuille / Riche de l’âge du charbon / Riche du nouveau printemps des hommes avec moi. L’empreinte fossile (Nervures et pédoncules, traits d’une fraîcheur intacte),  qu’il tient dans sa main, semble en tracer les lignes. L’espace, lui, n’est pas aboli : Câm Pha est nommé. L’homme sait d’où il vient, même si les lieux sont décrits par des éléments universels (charbon  – feuille –nervures – pédoncules – forêts – sève…) , de sorte que le mineur se proclame  citoyen de l’univers. Vision cosmique.

En conclusion, les élèves se seront initiés au registre lyrique, à la notion de chant poétique et au fait que la poésie permette de porter un autre regard sur le monde, de l’enchanter.

Séance 2 : lecture analytique : Aimé Césaire, « Cahier d’un retour au pays natal », cité dans l’anthologie humaniste (P.42/43)

Ce texte  cultive le même esprit que le précédent, d’où la liaison souhaitable.

  • L’enracinement du poète à sa terre natale y est profond ; le lien a sa culture originelle, orale, est réaffirmé par le chant  au rythme incantatoire.
  • Le même mouvement d’ouverture vers une dimension universelle

En outre, il permet d’aller au-delà :

  • Il allie lyrisme et engagement politique et permet ainsi d’aborder les fonctions de la poésie. Le poète défend la cause de son peuple dans un contexte colonial.
  • Son étude permet d’aborder  le concept de négritude.

Déroulé de séquence :  pour entrer dans le poème, on peut inviter les élèves à observer les réseaux lexicaux qui construisent des oppositions , notamment en partant d’antithèses marquantes : rebelle /docile (…) comme un poing ; la sommer libre enfin. A l’image de la liberté s’oppose celle de la tyrannie ; à celle de la lutte  (épée, poing), s’oppose celle du pacifisme (poing / docile – préservez-moi de toute haine) et  de la sagesse (recueillement, initiation) ; à celle de la vengeance (ressentiment) s’oppose celle de la tolérance (ce n’est point par haine des autres races) ; à celle de la clôture (se cantonner, intimité close) s’oppose  celle de l’ouverture (faim universelle, soif universelle) ; à l’omnipotence religieuse (puissance de modeler) s’oppose la finitude humaine (faites de moi un homme) ; au passé (homme de terminaison) s’oppose l’avenir (initiation, ensemencement). Le poème existe par ces tensions, dont l’observation permet d’approcher l’intention de l’auteur : s’il défend une cause circonscrite, affranchir son peuple de l’oppression coloniale,  et s’appuie sur son passé, Césaire tend à un projet universel, plein de sagesse, qui prédit un avenir flamboyant. Il n’exclut pas  l’ action virile mais son but ultime est pacifique. S’il emprunte la voie du chant quasi religieux, c’est pour mieux réaffirmer sa foi en l’homme. La lecture à haute voix du texte permettra d’insister sur son rythme incantatoire. Après quoi l’analyse  de la cause et du rôle du poète pourra être menée.

2/ L’homme déraciné

Séance 3 : commentaire littéraire du texte de   D. Diop, « Le Renégat »

L’analyse de ce texte permet de poursuivre l’approche  du  concept de négritude, David Diop se référant lui-même à ses maîtres : Césaire et Senghor. Le contexte colonial évoqué dans l’analyse précédente est ici largement développé. Le lyrisme se met clairement au service de la dénonciation,  ce qui offre la possibilité de réfléchir aux  fonctions de la poésie.

Du point de vue méthodologique, ce texte sera l’occasion, en début d’année, de réviser   la technique du commentaire littéraire. En effet le texte semble suffisamment accessible pour laisser les élèves composer en autonomie.  En classe technologique, deux axes d’étude seront proposés  (pourquoi pas  en 1ère  générale,  pour un  premier travail) : le portrait critique du renégat ; l’opposition de deux mondes. A l’issue de la correction de ce premier travail, qui aura insisté sur le mode d’insertion des citations,  un plan détaillé, non rédigé,  en trois parties (pour appuyer davantage sur la posture du poète) sera distribué. On demandera alors aux élèves de réécrire l’axe 2 ou 3, au choix, pour évaluer les progrès réalisés, tant au niveau de la compréhension du texte (qui sera présenté au bac en lecture analytique) que de l’aisance de rédaction. Le professeur distribuera alors un commentaire intégralement rédigé qui servira de texte-ressource pour les prochains commentaires à faire.

Séance  4 : prolongements possibles (autour de la littérature de la négritude)

–       Mise en voix du texte de R. Philombe,  «L’Homme qui te ressemble », in Petites Gouttes de chant pour créer l’homme (1977), texte cité dans l’anthologie humaniste (P.131) . Ce texte, un peu trop simple pour être soumis à l’analyse littéraire, peut être appris en récitation. Revenant sur les thématiques précédemment étudiées, il sera l’occasion de faire sonner les rythmes obsessionnels des anaphores déjà repérés dans les chants poétiques.

–       Recherche documentaire  dur le concept de négritude  

–       Travail de vocabulaire : les exemples de  littérature francophone étudiés précédemment peuvent être l’occasion d’une réflexion sur la langue française : comment le colonialisme a-t-il  imposé la langue française ?  Comment celle-ci  évolue-t-elle  sur le terrain,  en  signe de réappropriation ?

Séance 5 : lecture analytique : Laabi, « Le Spleen de Casablanca »

L’analyse porte sur les premiers poèmes, traités ensemble, du recueil Le Spleen de Casablanca. Ils traduisent le déchirement d’un homme exilé en France (après avoir été incarcéré huit ans au Maroc pour raisons politiques). Conscient d’un passé qui n’est plus, le poète cherche sa place et son identité. Cette écriture contemporaine (1996) évoque le fragile refuge dans les mots.

Prolongement : l’extrait du Livre d’Etoile, de Gil Ben Aych  cité dans l’anthologie humaniste (P.113) peut être lu en parallèle  dans le sens où il évoque le rôle des mots pour affronter l’exil :  la femme, en passe de quitter définitivement  l’Algérie pour la France,  se terre dans le silence. Incapable de confier  aux autres son déchirement et peut-être incapable de le nommer pour elle-même : le  style familier du texte traduit l’expression d’un individu qui ne maîtrise pas l’écrit.  La pire souffrance est peut-être celle de ne pas avoir les mots pour la chanter. Et pourtant, une poésie profonde et émouvante se dégage de ce texte lancinant.

Séance 6 : réflexion sur la définition de la poésie

L’extrait de roman précédent peut se conjuguer avec la lecture d’autres pages de prose, citées par l’anthologie humaniste :  l’extrait du Ventre de l’Atlantique, roman de Fatou Diome  (P.178) et celui  Origines, d’A. Maalouf (P.188). Outre que ces deux textes nous ramènent à l’expérience vécue de l’exil et revendiquent la possibilité de se forger une vraie identité,  multiculturelle (pour Fatou Diome) et dans l’errance (pour Maalouf)  ; outre que tous deux signalent l’importance du langage dans la construction de cette identité : Je cherche mon territoire sur une page blanche (Fatou Diome) ; Pour patrie, un patronyme (Maalouf) ;  ils nous invitent à nous demander ce qui définit la poésie. Ne peut-on parler de prose poétique ? On sensibilisera les élèves à la métaphore filée (celle des couleurs dans le texte de Fatou Diome ; celle des racines et des routes dans celui de Maalouf), aux rythmes des phrases,  aux anaphores, etc. Poésie versifiée, poème en prose, prose poétique ont en partage le souffle des mots et la beauté des images.

Le moment est alors venu de se tourner vers une poésie plus traditionnelle, dans une perspective historique.

Séance 7 :  Lecture analytique de  « L’Emigrant de Landor Road », d’Apollinaire

L’analyse de « L’Emigrant de Landor Road », où Apollinaire exprime aussi la souffrance de l’exil, nous replace dans une période charnière où la poésie  fait une transition entre tradition et modernité.

3/ Peuples nomades

Hommes enracinés, hommes déracinés, le texte de Maalouf nous a permis d’approcher  une troisième posture : l’éloge de l’errance. Les textes suivants développeront ce point de vue.

Séance 8 :  méthodologie : la question sur corpus (question type-bac) – « peuples nomades »

Le corpus réunit quatre textes valorisant des peuples nomades. Tous permettent de revenir à une poésie versifiée de facture plus classique. La question posée (Le portrait des nomades est-il réaliste  dans ces textes ? Justifiez votre réponse.) servira d’initiation à la réponse synthétique. Enfin la présence de la chanson de Michel Senlis, interprétée par Jean Ferrat,  tout comme la version de « L’Etrangère » chantée par  Yves Montand peuvent suggérer l’activité suivante.

Séance 9 : prolongement possible :  poésie et  chanson

La musicalité de la poésie  lui donne une parenté évidente avec la chanson.  Les textes précédemment cités peuvent s’accompagner d’une compilation musicale  (conjointement constituée par le professeur et les élèves, de chansons relatives à l’exil et à l’errance).

Quelques idées :  Jenuz Duka, « Le toit de ma maison », cité dans l’anthologie humaniste (P.31) ; « Le Métèque », de Moustaki ;   « Etre né quelque part », de Maxime Leforestier ; « Heureux qui comme Ulysse … » de Ridan ; « La misère d’en face », de Tryo ;  «Bien mérité »,  de Clarika.

Séance  10 : histoire des arts  – Guy Lorgeret, « Femmes nomades »

« Femmes nomades »,  œuvre exposée  à Betton (35), été 2013. (Cf. diaporama). Une vidéo de cette installation est visible sur www.dailymotion.com/…/x12o6aa_guylorgeret-expo

L’étude des sculptures de ce plasticien breton peut être complétée par d’autres installations du même artiste. Une autre est visible sur www.youtube.com/watch?v=fSAeTKFwuI8

Différentes images sont visibles sur le net, permettant de mieux comprendre l’esprit de sa création : il s’agit d’installer dans différents lieux des sculptures évoquant « le flux migratoire »,  selon les dires de l’artiste.

Présentation des intentions de l’artiste (sur  www.armilin.com/Fichiers/jardindesarts2012 )

Les interactions sociales et artistiques ont toujours été au centre de ses préoccupations. Elles sont un moteur dans sa vie, comme dans sa démarche pluridisciplinaire. La peinture, la vidéo, la photographie et la sculpture sont, pour lui, autant de moyens, d’offrir un éventail d’images au regard urbain. « J’aime ce moment où je peux confronter mes objets à un lieu. L’ampleur de l’installation et l’infinité de points de vue qu’elle propose donnent l’opportunité au public d’entrer au cœur de la sculpture. L’individu participe bien évidemment de ce dispositif. Le projet s’inscrit dans le paysage, tout en prenant soin, de ne pas transgresser son intégrité. L’enjeu est l’intégration de ce corps étranger dans un milieu naturel, tout en observant le travail du temps sur les matériaux ; lorsque le projet se situe dans un cadre urbain, je joue sur l’effet de surprise, en intervenant dans l’espace quotidien du spectateur. Ainsi , l’expérience et l’existence du lieu, s’en trouvent transformées, en devenant un espace public, révélé à chacun, et une performance artistique accessible à tous. «  Pour Jardin des Arts, en s’affranchissant du sol, Guy Lorgeret rompt le lien avec une forme classique de l’installation. Le dénivelé crée un mouvement et suggère l’effort que ses personnages doivent déployer pour se mouvoir et lutter à leur tour contre les éléments.

 

Pour l’auteur, ces personnages « n’ont pas particulièrement de reconnaissance ethnique » même si beaucoup de spectateurs croient y voir des Africains, à cause de la couleur ocre[1] et des drapés sur des formes de totems. « C’est censé représenter une mixité d’individus dans un contexte historique et contemporain » (Guy Lorgeret). Ces êtres venus de nulle part sont « citoyens de l’univers » puisqu’ils font corps avec la matière terrestre, dont ils sont l’émanation. Dans leur flux migratoire, ils habitent momentanément un lieu qu’ils nous apprennent à reconsidérer. Ils ont une légèreté aérienne bien que leur tige les attache au sol. Ces mêmes supports leur donnent l’apparence d’un totem , ce qui les charge de spiritualité et d’intemporalité.

Prolongement :

On propose aux élèves une activité de vocabulaire autour de l’exil 

 

Bilan : compétences mobilisées au cours des différentes activités du projet

L’ensemble des compétences du socle seront travaillées au cours de la séquence et plus particulièrement :

Lire –   lire à haute voix, de façon expressive un texte poétique ;  manifester sa compréhension de textes variés (littéraires et documentaires)

Ecrire – rédiger un texte correctement écrit, ponctué et organisé en paragraphes, et respectant les consignes données

Dire – Dire de mémoire, de façon intelligible et expressive,  un texte

Attitude – manifester un intérêt pour les sonorités, la puissance émotive de la langue ; une ouverture vers l’autre (et son langage)

Culture humaniste : acquérir des repères en littérature et en arts afin de se forger une culture humaniste

Utiliser des outils : dictionnaires ; ressources  numériques

 

 

 


[1] Les sculptures sont modelées  à partir d’une technique qui associe la silice, l’oxyde de fer et la terre.