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Abdellatif Laâbi, Le Spleen de Casablanca

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Dans le bruit d’une ville sans âme

j’apprends le dur métier du retour

Dans ma poche crevée

je n’ai que ta main

pour réchauffer la mienne

tant l’été se confond avec l’hiver

Où s’en est allé, dis-moi

le pays de notre jeunesse ?

O comme les pays se ressemblent

et se ressemblent les exils

Tes pas ne sont pas de ces pas

qui laissent des traces sur le sable

Tu passes sans passer

 

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Visage après visage

meurent les ans

Je cherche dans les yeux une lueur

un bourgeon dans les paroles

Et j’ai peur, très peur

de perdre encore un vieil ami

Ce gris matin est loyal

Je lui ais gré du spleen qu’il répand

de la douleur qu’il recueille

de la gerbe des doutes qu’il m’offre

en bon connaisseur

 

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Si je sors

où irai-je ?

Les trottoirs sont défoncés

Les arbres font pitié

Les immeubles cachent le ciel

Les voitures règnent

comme n’importe quel tyran

Les cafés sont réservés aux hommes

Les femmes, à raison

ont peur qu’on les regarde

Et puis

je n’ai de rendez-vous

avec personne

Je me sentirai perdu

à tout âge

 

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Je ne suis pas ce nomade

qui cherche le puits

que le sédentaire a creusé

Je bois peu d’eau

et marche

à l’écart de la caravane

Le siècle prend fin

dit-on

Et cela me laisse indifférent

Quoique le suivant

ne me dise rien qui vaille

 

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Dans la cité de ciment et de sel

ma grotte est en papier

J’ai une bonne provision de plumes

et de quoi faire du café

Mes idées n’ont pas d’ombre

pas plus d’odeur

Mon corps a disparu

Il n’y a plus que ma tête

dans cette grotte en papier

J’essaye de vivre

La tâche est ardue

 

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