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L’humanisme est périmé? Rhinocéros Eugène Ionesco

« L’humanisme est périmé » ?…  

Approche d’une œuvre intégrale : Rhinocéros, Eugène Ionesco

 

 

Gwenn-Aëlle Geffroy,

Lycée Montebello, Lille

 

 Niveau : Première et  Troisième

 

Objet d’étude, thème du programme :

Au lycée on intégrera cette séquence dans les objets d’étude suivants :

– Le texte théâtral et sa représentation du XVIIème siècle à nos jours ;

– La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIème siècle à nos jours ;

Au collège on pourra étudier cette pièce en classe de 3ème 

Troisième : De la tragédie classique au tragique contemporain

Objectifs généraux du projet : Comprendre les enjeux humanistes de la pièce ; lire une fable sur l’homme ; réfléchir aux liens entre texte et représentation

 

lecture

Lectures analytiques et cursives ; lecture de l’image 

culture humaniste / histoire des arts

Etude et confrontations de mises en scène

Types d’écrits travaillés

Invention ; Commentaire ; Dissertation

oral

 Mises en voix ; mise en jeu ; exposés et présentations de travaux

 

  I Pistes pour entrer dans l’œuvre :

 

A/ « La question de l’homme »

Les archives INA et plus largement le net fourmillent de documents photographiques ou vidéo représentant des images de foules fanatisées, par exemple sous le régime nazi d’Hitler. On peut d’ailleurs choisir la photographie d’August Landmesser, photographié le 13 juin 1936, lors de l’inauguration du navire Horst Wessel par Adolf Hitler à Hambourg : les bras croisés, dans une foule se tenant debout bras droits tendus, il refuse de faire le salut nazi : : http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/wp-content/uploads/2012/12/August-Landmesser-Hambourg-1936.jpg

On peut inciter la classe à une réflexion à partir de ces documents : comment expliquer qu’une foule se laisse ainsi fanatiser ? Qu’un homme résiste en silence ?

Les premiers échanges peuvent aider les élèves à établir un lien entre une réalité historique et la situation a priori absurde représentée dans Rhinocéros, situation dont ils ne perçoivent pas immédiatement les enjeux dès la première lecture.

B/ Lecture de l’exposition et jeu théâtral pour représenter l’acte I, pp. 34 à 40 de l’édition folio

 

Ce passage permettra de mieux saisir la progression tragique de la pièce ainsi que l’évolution du personnage de Bérenger, marqué d’abord par l’indifférence face au surgissement d’un insolite inquiétant.

C’est bien d’un conflit qu’il s’agit, mais traité sur le mode comique. On peut à ce stade proposer une première caractéristique du théâtre de l’absurde et l’étayer par la représentation de conflits dans La cantatrice chauve, par exemple entre Monsieur et Madame Smith au début de la pièce (la projection de la représentation de Jean-Luc Lagarce peut aider l’élève à bien cerner le comique). On axera la définition sur l’usage du langage et sur l’effet créé sur le lecteur-spectateur.

Selon le temps dont on dispose, on peut proposer une activité d’écriture qui permettrait de cerner la spécificité – et le « réalisme ! » – de l’écriture de Ionesco. Cette activité peut d’ailleurs lancer la lecture de l’extrait, en début de séance.

Vous écrirez une scène de dispute entre deux personnages ordinaires, que vous tenterez de rendre dénuée d’intérêt et comique, à la façon de Ionesco.

 

 

II Lecture analytique des pp 44 à 52 (acte I)  

lire  l’extrait :

On peut prévoir un court temps de lecture en groupe, à l’issue duquel certains sont invités à proposer une lecture théâtralisée de l’extrait. Celle-ci peut permettre de cerner assez rapidement les spécificités de l’extrait et les caractéristiques des personnages.

Ce passage de l’acte I permet d’approfondir la réflexion sur la spécificité du comique et de l’absurde de Ionesco : incohérence du dialogue entre le logicien et Le Vieux Monsieur ; juxtaposition des répliques et cacophonie des discours superposés.

En lien avec la réflexion sur l’homme et sur l’humanisme, on peut assister déjà dès ce début de pièce à une défaite de la pensée : absurdité de la leçon de logique ; folie de cette logique qui contamine l’ensemble du dialogue ; clichés, autoritarisme, ton sentencieux  et langage vide de Jean ; absurdité de sa leçon d’humanisme (cf p. 54 : Visitez des musées, lisez des revues littéraires, allez entendre des conférences […].En quatre semaines, vous êtes un homme cultivé » !).

Un personnage cependant retient notre attention : Bérenger, plus humain, moins « absurde » que les autres, présenté ici sous le signe du malaise existentiel. Lui seul se pose des questions sur lui-même, sur le sens de la vie, sur l’homme – il apparaît ainsi le seul humain véritable de la pièce en dépit de son aspect fondamentalement antihéroïque (lequel précisément le préservera de la rhinocérite).

Il serait intéressant, à ce propos, d’éclairer ce passage d’extraits d’entretien avec Eugène Ionesco lui-même, afin de montrer le lien entre ce personnage et son auteur. Ces extraits sont disponibles sur le DVD de la pièce édité par le SCEREN-CRDP de Champagne-Ardenne et la Comédie de Reims (Entrer au théâtre ; Texte et représentation ») ou sur le site de l’INA (http://www.ina.fr/video/CPC78052607 ).

A ce stade, peut être posée la question de la représentation de l’extrait : quels choix ont fait les groupes ? Quelles difficultés les élèves ont-ils rencontré ? L’échange peut introduire l’étude comparée de deux mises en scène différentes (celle d’Emmanuel Demarcy-Mota d’une part et l’une des nombreuses mises en scène disponibles sur le site You tube)

Un entraînement à l’écrit (et/ou à l’oral de l’EAF) pourrait consister à faire répondre à la question suivante : Trouvez-vous ce dialogue comique ? / Ce dialogue vous fait-il rire ?

III Lecture analytique de lextrait de l’anthologie p. 202 : acte II, tableau 2 : la métamorphose de Jean

 

Passage-clé de l’œuvre, la scène de la métamorphose de Jean donne à voir l’irreprésentable et fait glisser la pièce vers la tragédie, même si les genres et les registres continuent à se mêler. Elle permet aussi de souligner le caractère vide des propos de Jean et de ses incitations à se cultiver repérées dans l’extrait précédent.

Une simple lecture théâtralisée par les élèves aidera à saisir son ambiguïté : les élèves seront sensibles à l’effet comique créé par l’onomatopée (« Brrr… »), par le jeu d’acteur indiqué dans les didascalies et par la rapidité de la scène ; ils peuvent néanmoins facilement cerner, par la lecture, l’horreur de la déshumanisation donnée à voir. Cette indécision permet de mieux comprendre la spécificité du théâtre absurde, qui parvient à nous faire rire de l’horreur, créant ainsi un sentiment de malaise que l’on retrouvera dans d’autres textes complémentaires ou d’autres lectures cursives (La leçon de Ionesco, En attendant Godot et/ou l’extrait de Fin de partie de Samuel Beckett disponible dans l’anthologie (p. 262)).

L’évolution du personnage de Bérenger est ici patente : son discours est empreint de valeurs humanistes ; il argumente et refuse de croire à la fin de l’humanité de son ami (« Vous plaisantez, vous faites de la poésie »).

Car c’est bien en ami qu’il vient voir Jean et au nom de l’amitié qu’il tentera de lutter contre cette métamorphose. Jean, lui, répond à cette sollicitude par la violence, par le retour à la bestialité et par la volonté de destruction, au nom d’un état de « nature » supérieur aux « siècles de civilisation humaine » revendiqués par Bérenger.

La parole laisse place au bruit, Jean s’exprime par slogans et par clichés (« Il faut dépasser la morale » ; « La morale est antinaturelle »…).

On peut à ce stade poser la question de la représentation en proposant une réflexion par groupe : Comment représenter cette scène ? Quels choix opéreriez-vous ? Quels effets souhaiteriez-vous créer sur le spectateur ? Vous argumenterez vos choix.

Aux propositions d’élèves l’on peut utilement confronter les mises en scène de Jean-Louis Barrault et d’Emmanuel Demarcy-Mota qui proposent des réponses tout à fait opposées à ces questions (voir DVD publié par le SCEREN –CRDP)

 

IV Les personnages de Dudard et de Daisy – relecture de l’acte III : Travaux de groupes et/ou lecture analytique d’extraits

 

Avant la relecture de l’acte III, on peut commencer par une question s’appuyant sur la compréhension de l’œuvre :

Pourquoi Bérenger ne se transforme-t-il pas en rhinocéros ?,  puis distribuer un extrait de Notes et contre-notes dans lequel  Ionesco explique comment son ami Rémy de Rougemont a, après un temps, instinctivement refusé de céder au mouvement de foule, de fascination face à un discours d’Hitler.

On peut ensuite inviter certains groupes à travailler sur le personnage de Dudard ; les autres s’interrogeront sur celui de Daisy.  A l’issue du travail, il sera intéressant de rendre compte à la classe des réflexions menées.

 

Dudard : « Comprendre, c’est justifier » ; l’intellectuel qui refuse d’agir puis qui cède au fanatisme et aux sirènes des totalitarismes, après avoir tenté de « comprendre » les rhinocéros.

Consignes possibles :

1/ Relevez des phrases-clés qui vous semblent expliquer la métamorphose finale de Dudard.

2/ Qui représente ce personnage, selon vous ?

3/ Ionesco explique, dans un entretien, qui est Dudard et pourquoi il a créé ce personnage.

4/ Comment représenteriez-vous ce personnage ? Vous rédigerez les conseils qu’un metteur en scène donnerait au comédien incarnant Dudard.

 

Daisy : « Il n’y a pas de raison absolue. C’est le monde qui a raison, ce n’est pas toi, ni moi. »

1/ Relevez des citations de Daisy, dans l’acte III, qui illustrent l’évolution du personnage.

2/ Comment expliquez-vous cette évolution et son choix final ? Justifiez votre réponse.

3/ Comment représenteriez-vous ce personnage ?

4/ Analysez l’extrait représenté par Emmanuel Demarcy-Mota.

V Commentaire sur table du dénouement (monologue de Bérenger) : « Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! » ; « Malheur à qui veut conserver son originalité !»

Lire l’extrait 

C’est une fin tragique que nous propose Ionesco et il est intéressant de confronter les différentes interprétations de ce dénouement : certains élèves concluent à un héroïsme de Bérenger qui reste humain et qui se bat, même de façon dérisoire (et absurde). D’autres au contraire insistent sur la violence finale de Bérenger et sur son désir de céder lui aussi aux sirènes de la métamorphose qui mettent à mal l’humanité du personnage. On peut utilement lors de la correction leur faire écouter l’extrait d’entretien avec Ionesco où l’auteur défend l’humanité de son personnage, son caractère « humain trop humain », précisément pas héroïque.

La reprise en classe du texte mettra en évidence le mouvement du monologue : l’humanité du personnage, sa culpabilité ; le questionnement sur l’identité et le langage ; le dilemme : la tentation de la rhinocérite et les renversements de valeurs vers la lutte finale.

L’étude de l’espace scénique (les têtes de rhinocéros qui encerclent Bérenger mais aussi peut-être les spectateurs eux-mêmes) permet d’interroger la représentation possible de ce dénouement et de projeter la version d’Emmanuel Demarcy-Mota, en la confrontant à d’autres mises en scène (que l’on peut notamment trouver sur le site You tube)

 

Travail final : Devoir Maison

Vous réaliserez un travail sur Rhinocéros en proposant à votre tour des pistes pour une mise en scène de la pièce.

Vous rechercherez sur internet d’autres types de mises en scène que celles vues en cours et justifierez vos propres choix, en vous référant à vos analyses et interprétations des personnages, de l’intrigue et des conversations,  de la progression dramatique et surtout de la fin. Vous indiquerez quel type de métamorphose vous proposeriez de représenter et à quelle(s) rhinocérite(s) vous feriez référence.

Vous pouvez, si vous le souhaitez, réaliser ce travail sous forme numérique.

Exemples de travaux: 

Exemple 1      Exemple 2    Exemple 3

Prolongements

Exposé sur le parcours d’Eugène Ionesco

I Lectures complémentaires :

Autour de la pièce :

–       Notes et contre-notes, Eugène Ionesco

–       Extraits d’entretiens avec Eugène Ionesco

Autour de l’absurde et sa réflexion sur l’homme (à relier au contexte historique) :

–       Dénouement d’En attendant Godot, Samuel Beckett

–       Dénouement de La leçon, Eugène Ionesco

–       Début de La cantatrice chauve,  illustré par la mise en scène par Jean-Luc Lagarce

Autour de la mort de l’homme, textes de l’anthologie :

–       Fin de partie, S. Beckett (anthologie p. 262/263)

–       Les Mots et les Choses, Michel Foucault (anthologie p.264/265)

–       Tristes Tropiques, Claude Lévi-Strauss (anthologie p.266/267)

–       Une bien faible humanité : Günther Anders, L’Obsolescence de l’homme (anthologie p.218/219)

 

II Propositions de sujets de dissertation :

En quoi le théâtre fait-il réfléchir sur l’homme ?

Pensez-vous avec Ariane Mnouchkine que « le théâtre a charge de représenter les mouvements de l’âme, de l’esprit, du monde, de l’histoire » ?

 

III Représentation

Choix d’autres extraits de la mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota(ex. acte II, tableau 1)

Entretien avec le metteur en scène (extraits)

Fichiers joints :

–       Extrait de l’acte I              (lecture analytique)

–       lecture analytique  « la métamorphose de Jean » ; anthologie p 202

–       Dénouement

–       Extraits de Notes et contre-notes, Ionesco