Texte n°2 : Emmanuel Roblès, Acte Premier, scène 7 (1948)
IZQUIERDO
Je te plains Montserrat ! Je sais que tu as du courage… Il va t’en falloir beaucoup !
MONTSERRAT
Je ne crains rien.
IZQUIERDO
Qui sait ? Je pourrais te faire torturer à mort, mais tu ne parlerais pas, je te connais. Et, si tu mourais à la torture, par Dieu, ma chance de capturer Bolivar s’envolerait avec ton souffle. Son Excellence m’a laissé libre choix des moyens pour te faire dénoncer le nouveau refuge de ton ami…
MONTSERRAT
Puisque vous savez que je ne parlerai pas, qu’attendez-vous pour me faire fusiller ?
IZQUIERDO, doucement
Tu parleras… (Il marche, tête basse, de long en large, puis s’arrête et regarde fixement Montserrat). Ecoute-moi. Six personnes vont être enfermées ici, dans cette salle, avec toi. Des gens pris au hasard, dans la rue. Des innocents, Montserrat ! des hommes et des femmes de ce peuple que tu aimes plus que ton drapeau. Dans une heure, si tu n’as pas dénoncé l’endroit précis où se cache Bolivar, ils seront fusillés !
MONTSERRAT, atterré
C’est impossible ! Izquierdo ! C’est inhumain !
IZQUIERDO, méprisant
Qu’importe, si c’est efficace…
MONTSERRAT
Je veux demander audience au général.
IZQUIERDO, brutal
Refusé !… (Silence). Tu auras une heure. Au bout d’une heure, si tu t’obstines, ils seront fusillés derrière ce mur. Il faudra choisir entre la mort de Bolivar, rebelle et traître, et celle de six innocents.
MONTSERRAT, révolté, hurle
Tu es une bête immonde ! J’aurais dû t’écraser la tête le jour de Gomara, quand tu as fait enterrer vivants tous les prisonniers.
IZQUIERDO
Tais-toi ! Aujourd’hui sera plus difficile qu’à Gomara.
MONTSERRAT, hors de lui
Je te hais ! (Il tente de se jeter sur Izquierdo. On le maîtrise)
IZQUIERDO, ironique
Et moi, je te plains de toute mon âme, car ton épreuve sera dure, très dure.
MONTSERRAT
Je veux voir le général. Son Excellence me fera fusiller pour avoir trahi, pour avoir préféré la cause des hommes que nous opprimons à la fidélité au Roi. Il me fera fusiller pour tout ce qu’il voudra. Ca m’est égal. Je consens à mourir en traître. Je suis un traître dans ce camp, je l’avoue. Parce que j’ai des sentiments d’homme ! Que je ne suis pas une machine à tuer, une machine aveugle et cruelle !…
IZQUIERDO
Assez ! Son Excellence m’a ordonné de te faire avouer la retraite de Bolivar. Par n’importe quel moyen. Je l’ai, ce moyen. (Silence). Les gens qui vont venir ici, je ne veux pas savoir s’ils sont pour ou contre nous. L’essentiel, c’est qu’ils soient innocents. Il y aura peut-être parmi eux de fidèles sujets du Roi. Tant mieux. Il faut qu’ils n’aient rien à se reprocher. Un seul coupable, ici, toi. Coupable d’avoir aidé la fuite d’un chef rebelle. Tu tiens le marché : donnant, donnant ; la vie de six innocents contre la vie d’un traître et d’un bandit.
MONTSERRAT
Je ne peux pas ! Je-ne-peux-pas ! Je ne peux pas !
IZQUIERDO
Qu’est-ce qui t’en empêche ? L’honneur, peut-être, hein ? On ne livre pas un ami qu’on a soi-même mis en sûreté ? C’est cela ?… Réfléchis, Montserrat. Six innocents ! Pèse-le bien, ton honneur.
MONTSERRAT
Ah ! ce n’est pas cela ! S’il ne s’agissait que de mon honneur !
IZQUIERDO
Quoi, alors ?
On entend dehors des exclamations, des bruits de pas, des cris : « Avancez ! » « Mais je n’ai rien fait ! » « Silence ! »