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Emmanuel Roblès, Montserrat, Acte premier, Scène 2, 1948

Texte 1 : Emmanuel Roblès, Montserrat, Acte premier, Scène 2, 1948

 

LES MEMES, Izquierdo

Izquierdo est entré à l’avant-dernière réplique de Moralès. Il a le visage décomposé par la haine. Il a gardé sa cape roulée sous le bras. C’est un homme à l’aspect massif et brutal. Il porte un collier de barbe. Aux bottes, des éperons. Après la dernière phrase de Moralès, il hurle :

IZQUIERDO

Assez ! Tu m’as vu, jusqu’ici, pardonner une fois ? Est-ce que j’ai cet air idiot d’un homme qui peut s’attendrir et pardonner ? Hein ? Jamais ! (Soudain, il les regarde silencieusement, puis, avec un sourire d’une ironie inquiétante : ) Au fond, mon échec de ce matin vous ravit… n’est-ce pas ?

ANTONANZAS, navré

Izquierdo !

IZQUIERDO, hausse les épaules

Oui, oui… Vieux compagnon d’armes !… Enfin !…

ANTONANZAS, amical

Tu es fatigué par cette expédition, Izquierdo !…

IZQUIERDO, ricane

Oui. Inutile de t’apitoyer sur moi, veux-tu ?… Mais je dois aller présenter mon rapport à son Excellence.

ANTONANZAS

Tu n’as pas vu le général ? Il n’est pas encore au courant ?…

IZQUIERDO

Je lui apporte deux surprises !

ANTONANZAS

Comment, deux ?

IZQUIERDO

Une : l’annonce de mon échec. Deux : le nom de l’homme qui m’a joué. (Avec mépris à Moralès). Comme tu disais si bien tout à l’heure.

ZUAZOLA

Qui est-ce ? Peut-on le savoir ?

ANTONANZAS

C’est un Espagnol ? Un officier de l’état-major ?

IZQUIERDO, hargneux

Assez ! Je ne peux rien vous dire. Il faut se taire et attendre les décisions de Son Excellence

Izquierdo va sortir de l’autre côté, en traînant sa cape. Il est visiblement préoccupé.

ZUAZOLA

Dis-nous au moins ce qui s’est passé.

ANTONANZAS

Oui, nous n’avons eu aucun détail. D’ailleurs, Son Excellence n’est pas encore annoncée… Tu as quelques minutes…

Izquierdo revient sur ses pas, lentement. On le devine encore plein de ressentiment.

IZQUIERDO

Nous sommes parvenus à l’aube près de la ferme où, selon nos indicateurs, Bolivar, malade, s’était réfugié. J’ai fait cerner les bâtiments. Mes hommes ont fouillé partout. Envolé… Ils étaient aussi enragés que moi. Ils ont tout massacré, tout incendié. Je n’ai pas su les retenir tant j’étais furieux… Mais, quand le feu a entamé les granges, un Nègre est sorti, à demi fou de peur. Il s’était caché sous la paille. Il a vu les autres corps au milieu de la cour et il n’a pas fallu beaucoup d’efforts pour lui faire raconter sa petite histoire. Un de mes soldats l’aidait, malgré tout, en lui caressant un peu le ventre à petits coups de baïonnette…

MORALES, riant

Qu’a-t-il dit d’intéressant ?…

IZQUIERDO, à haute voix, les sourcils froncés.

            Bolivar a été prévenu au milieu de la nuit. Il avait une violence fièvre et il a fallu le hisser sur son cheval et l’attacher à la selle. Où est-il reparti se cacher ? Le Nègre n’en savait rien. Aussi je l’ai fait pendre… (Il réfléchit). Même s’il l’avait su, naturellement, je l’aurais fait pendre.

MORALES

Il t’a donné le signalement de l’homme ?

IZQUIERDO

Je l’ai.

MORALES

C’est un Espagnol, n’est-ce pas ?

IZQUIERDO

Pas de questions à ce sujet veux-tu ?

MORALES

Puisque tu le connais, il te sera facile de le capturer et de le faire parler à son tour… Les fourmis rouges… ou le plomb fondu dans les oreilles…

IZQUIERDO

Tu as l’imagination un peu courte.

ZUAZOLA

Bolivar n’a pas dû s’éloigner beaucoup dans ces conditions.

IZQUIERDO

Non. Il restera certainement caché quelque part tant qu’il fera jour et fuira de nouveau à la nuit. J’ai envoyé plusieurs patrouilles de cavaliers dans les deux directions qu’il peut prendre.

MORALES

Pourquoi : deux directions ?

IZQUIERDO, précis

Cette nuit, ou bien Bolivar marche vers Puebla, rejoint ses partisans et s’efforce de regrouper ses forces pour nous retomber dessus. Ou bien il descend vers la côte et s’embarque pour Curaçao, où il retrouve ses chers amis anglais, se soigne et oublie peut-être ses singes-soldats et ses projets de fou.

ZUAZOLA

Tu crois sérieusement qu’il est assez touché, assez découragé pour renoncer ?…

IZQUIERDO, irrité

Je ne crois rien. Il y a pour lui deux solutions. Ou Puebla ou Curaçao. Ou l’Ouest ou la côté. J’ai donné l’ordre de fouiller partout et surtout dans ces deux directions. Mais vous m’avez déjà trop retenu. Je vais chez le général. Je pense qu’il a dû arriver.

MORALES, l’arrêtant

Encore un mot, Izquierdo. Bolivar peut donc, malgré tout, t’échapper ?

IZQUIERDO

Non. Car avant la nuit, avant qu’il se remette en marche, je saurai où il se cache. Je te jure que je le saurai, comme j’ai su qui l’a sauvé ce matin ! A tout à l’heure !

Les officiers sortent derrière lui. On entend Zuazola demander :

ZUAZOLA

Qui soupçonnerais-tu, toi, Moralès ?

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