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Souvenir

 

Je me souviens de mes randonnées, des notes inutiles que je mettais des heures à faire pour finalement n’être lu par personne. Ces descriptions de la faune et de la flore nous entourant, des saisons rythmant nos vies et celle de ce cadre en perpétuel évolution

Je me souviens de cette colline. De cette montée semblant interminable mais où, de là haut, le village tenait dans la paume de la main, où tous les sommets avoisinants  se rejoignaient pour nous offrir le plus beau des spectacles. Je l’avais rencontré une fois là haut et lui avait donné, tout en admirant la vue, les différents noms de ces montagnes semblant jouer avec les nuages et  je me souviens de la culpabilité dévoilé ces noms comme si c’était la pire des fautes

Je me souviens  d’Emelia chantant sur ce sommet son éternelle et mélancolique chanson au coucher du soleil, de Poupchette jouant à ses pieds . De la grâce et de la beauté dont cette scène faisait preuve, la rendant presque irréelle

Je me souviens de la première fois où elle m’est apparue . De l’amour qu’à cet instant j’ai éprouvé pour elle presque malgré moi. Des souffrances endurées afin de pouvoir la revoir encore une fois

Je me souviens de mon voyage vers le cratère et de Kelmar. De nos interminables discussions, de la soif qui a fait de nous deux meurtriers. Je me souviens de l’arrivée au camp et de cette course qui restera à jamais gravée en moi. Peut-être aurais-je dû m’arrêter là aussi

Je me souviens du livre de l’Anderer où elle était là. La pervenche des ravines, la fleur que depuis tout ce temps je cherchais était là, sous mes yeux. D’une beauté inégalée, elle avait l’air, dans ce livre rarissime que j’avais cherché dans toutes les bibliothèques de la région, d’un trésor. Un bijou dans un écrin conservé à l’abri des regards

Je me souviens du jour où les tableaux ont été accrochés. Des premières réactions puis de la haine et de la violence qu’ils ont soulevée. De la vague de rage qui s’est abattue sur tout notre village, des choses qu’elle a détruites mais dont je me souviendrai toujours

Je me souviens de cette tâche qu’on m’a imposée : écrire ce rapport. Des nuits blanches que j’ai passées à me torturer l’esprit à savoir si la vérité devait être révélée ou non. De me remémorer ce que j’aurais préféré chasser de mon esprit. Mais les souvenirs sont ce qu’ils sont, je ne pourrai jamais les faire taire, je ne peux que les fuir.

 Léa Soualle
Espace intime de Brodeck                                ⇒ Quels mots pour entrer dans Le Procès?