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Vérité

 

Je ne peux y croire. Comment peut-il brûler autant de travail en si peu de temps ? J’aurais dû me douter que cette version de l’Ereigniës ne lui plairait pas. Le maire, il n’aime pas voir la vérité en face. La vérité, ça peut couper les mains et laisser des entailles à ne plus pouvoir vivre avec, je l’ai déjà dit. Ce qu’Orschwir veut, c’est garder, en apparence, les mains vierges de tout vice. Après tout, peut-être que la vérité n’est pas bonne à dire. Mais il fallait que je le dénonce, ce meurtre ! J’ai été forcé de faire ce rapport, ils voulaient tous que ce soit moi, ils voulaient que je raconte. Je pensais avoir raconté la vérité, mais personne ici ne l’aime la vérité. J’en ai pris conscience pendant le repas qu’avant organisé l’Anderer. Il avait alors exposé les tableaux qu’il avait réalisés, révélant le vrai visage de chacun d’entre nous et ils n’avaient pas accepté d’être confrontés à la réalité. Je me rappelle bien qu’ils ont tout saccagé. Personne n’aime la vérité ici.

    Quand je suis allé chez Orschwir pour lui poser des questions, il a refusé de me répondre et s’est contenté de me montrer ses porcs. Sur le moment, je n’ ai pas prêté attention à l’enchaînement des événements mais quand j’ai demandé à voir le corps, il m’a emmené à la porcherie. Le corps s’y trouvait-il ? J’en ai la quasi certitude désormais. Il a brûlé le rapport car quelque chose le dérangeait : la vérité.

     Comme Diodème et la lettre qu’il m’a laissée, j’ai voulu dénoncer la vérité, aussi effrayante soit-elle.  Le fameux soir où je suis venu chercher le beurre, les villageois m’ont fait l’avocat du diable et je devais de rendre ce rapport. J’ai donc choisi d’expliquer ma version des faits. J’étais arrivé à l’auberge Schloss peu après que l’Anderer ait été traversé de plusieurs coups de couteau. Ensuite le corps a été emmené dans  l’enclos des porcs puis réduit à néant, faisant oublier ce qui était arrivé. J’ai écrit le rapport, entre deux paniers garnis que je recevais en guise de paiement puis Orschwir a fini par le brûler puisque ce n’était pas le genre de « vérité » qu’il voulait lire.

    Je sais que la vérité peut faire souffrir, j’en ai fait l’expérience par les lettres de Diodème mais elle reste toujours enfouie dans la mémoire de quelqu’un et tôt ou tard elle finit par ressurgir : elle ne reste jamais éternellement muette.

Noémie Neveu

⇐Espace intime de Brodeck                                        ⇒Quels mots  pour entrer dans Le procès ?