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L’Autre

 

Discrètement mais sans hasard,  il apparait,Dans ce petit village parmi ces quelques âmes. Malheureusement pour lui il les observera, Malheureusement il constatera, il percevra,  il écrira, et il dessinera.Cet homme « extra-ordinaire » Cet homme qui parle aux animaux mais peu aux hommes Et qui pourtant en perçoit les moindres secrets…

Toi, « l’étranger », « De Anderer », à leurs yeux différent, original, dérangeant.Comme je te comprends pourtant : tes origines te sont reprochéesLes miennes m’ont mené en enfer, l’enfer des camps, des camps de l’indicible. Toi, l’étranger, tu l’es surtout pour ces habitants, à l’étroit dans leur village, à l’étroit dans leur esprit.Jamais ils n’ont comme toi voyagé, jamais ils n’ont connu d’autres contrées, d’autres modes de vie et de pensée.Toi le rêveur, comme moi, tu observes, comme moi tu ressens, tu comprends.J’observe la nature, je l’écoute, je la consigne dans mon carnet. Tu habites leur village, tu leur souris, tu suscites leur intérêt, leurs interrogations, Sans parler, tu révèles leurs défauts, la distance qu’avec toi ils instaurent, par méfiance. Et puis, tu le notes. Toi, l’étranger, tu portes des habits cossus, un chapeau, tu parles à ton âne, ton cheval,Et puis tu bois du thé, dans des tasses de porcelaine d’Asie !Schloss, l’aubergiste, accepte de te loger, surtout par vénalité. Mais tu n’es pas intégré, parce que tu es étrange, étranger !Aux Fratergekeime, ils m’ont livré, pour acheter leur tranquillité, Pour donner à l’ennemi ce qu’il traquait, et ainsi échapper à sa sanction. Toi, le voyageur, tu en as découvert des civilisations ! Tu n’as pas rejeté la nouveauté !Toi, le frère, tu m’as écouté, à toi je me suis confié, avec générosité et sensibilité tu m’as accueilli.Toi, Petit Prince, tu te confies à la nature, à tes animaux, tu flânes le long de la  rivière StaubiLoin de toi, l’avarice, la bêtise, l’intolérance, la méchanceté !Toi, Petit Prince, tu ne demandes pas qu’on te dessine un mouton, mais tu les représenteras, eux les villageois Sur des toiles que chez Schloss tu exposeras. Toi le prophète, par ces peintures tu tenteras de les révéler à eux-mêmesSans les sermonner, tu essaieras de les ouvrir à l’Autre, à la différence Mais tu échoueras et leur bêtise triomphera.D’abord, ils s’en prennent à ce que tu as de plus cher : tes compagnons à quatre pattes. Toi, le prophète, tu deviens fou de douleur, d’incompréhensionEt pour la première fois, tu t’exprimes, tu cries ton désespoir. Toi, le prophète, ils te sacrifient, ils te battent à mort, c’est « l’Ereigniës ».Toi, l’étranger, le frère, le prophète, tu voulais les laver de leurs péchés Mais ils n’ont pas compris, ils sont restés aveugles et t’ont exécuté.Mais moi, Brodeck, je t’ai compris….Et tu rêves, tu penses….

«  La guerre ravage et révèle » –  Philippe Claudel 
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». – Saint-Exupéry  
Mathis Tryla

Espace intime de Brodeck                           ⇔ Quels mots pour entrer dans le Procès?