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Mémoire

 

    Non, Monsieur le Maire, je n’écrirai pas un rapport mais des mémoires, plus spécialement MES mémoires. Je ne pourrai pas écrire un rapport sur l’Anderer  car je ne connais strictement rien de lui mis à part son passage dans notre village. Cependant je peux réaliser  un « rapport » sur mes mémoires et sur la mémoire collective du village car j’ai moi-même vécu  ici avant de me faire déporter pendant la guerre. J’ai été déporté car les villageois m’ont dénoncé à l’occupant pour obtenir leur tranquillité. Ils m’ont dénoncé car ils ont jugé que j’étais différent et étrange par rapport à eux et que je n’avais pas ma place parmi eux. Le village suit toujours le même principe qu’alors : j’ai cru entendre que ce fameux Anderer était étrange et c’est sûrement pour cela qu’il est mort ; cela me rappelle mon vécu, mon histoire. C’est pour cela que je n’écrirai pas ce rapport.

Ou plutôt si. Je l’écrirai mais il sera un alibi. En même temps que je le rédigerai, j’écrirai mes mémoires. Ces événements me taraudent, ils ont fait remonter en moi ce dont je ne voulais plus parler. C’est trop tard. La vanne est ouverte. C’est pour cela que maintenant je veux en parler. Je voudrais avoir ce rapport sur moi, sur ma vie et non pas sur un village entier.

Victor Sion

Espace intime de Brodeck                                  ⇒ Quels mots pour entrer dans le Procès?