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Brodeck

↔Un jour, quelques années après la mort de Brodeck, Emélia repensa à celui-ci : « Quel brave homme il a été, simple, il ne s’est jamais surestimé, gentil, il n’a jamais voulu offenser personne, craintif face aux personnes plus importantes que lui mais il a tout de même fait acte de résistance en écrivant ce rapport à sa manière…
Ce jour où tout a basculé, le jour de la mort d’un simple étranger qui séjournait au village, lorsque le maire lui a demandé d’écrire ce rapport, lui qui avait à peine étudié, je ne sais pas s’ il avait la capacité d’écrire, la capacité d’utiliser la machine à écrire et cette belle compréhension des mots. Ce n’était pas donné à tout le monde… Mais il avait en lui ce talent de jouer avec les mots que je ne lui connaissais pas. Même si je n’étais pas d’accord, je trouvais cette décision du maire juste. Le fait qu’il ait accepté si facilement m’a surprise. Peut-être n’était-il plus le même après ce qui s’était passé… Comme j’aimerais de nouveau le voir, lui parler, le comprendre mais c’est impossible, je le sais bien. Après avoir réfléchi, je me suis mise à penser qu’il avait la pression de tous les habitants, ces cruels villageois qui l’avaient déjà envoyé en camp de concentration et qui m’avaient laissé vivre ça, qui m’ont enfermée dans ce silence. Il ne voulait pourtant pas le faire car il s’agissait d’un meurtre auquel il n’avait pas assisté contrairement aux villageois. Il ne voulait donc pas y être associé et il avait peur de dire des choses fausses. J’aurais dû lui venir en aide, comme je m’en veux de plus pouvoir revenir à moi ! Il a tout de même écrit ce rapport car il tenait à sa vie hors des camps et tenait à moi, à Poupchette, qu’il a acceptée sans rien dire, et à Fédorine. Il répétait sans cesse « je n’ai rien entendu et je n’y suis pour rien ». Je me rappelle qu’au début les habitants du village lui disaient d’écrire ce qu’ils lui disaient mais malgré son manque d’estime de soi, il l’écrivit à sa manière car il n’avait pas confiance en eux. Et cet ignoble maire l’a brûlé après l’avoir lu ! Ce rapport le dérangeait alors pourquoi l’a-t-il demandé ? Cela, jamais je ne le saurais, comme beaucoup de choses d’ailleurs maintenant.
Brodeck, maintenant que tu es parti, je ne pourrai jamais te revoir, les souvenirs qu’il me reste de ta présence sont mes plus précieux. Comme j’aurais aimé te dire que je t’aime, te remercier de ne pas m’avoir abandonnée. Tu es resté alors que j’étais plongée dans le silence dont je ne pourrai jamais sortir. Ce terrible silence qui me hante chaque nuit. Toi, tu as continué à m’aimer, à me le montrer à travers ce rapport que toutes les nuits ma peau a réchauffé. Moi, je ne peux que chanter pour te dire tout ce que je pense… 

Davy Plovier

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