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Roman de Tristan et Iseut, Chapitre II.

Séance n°6 : Etre ou naître héros ?

 

 

Texte n°1 : Roman de Tristan et Iseut, Chapitre II.

Au jour dit, Tristan se plaça sur une courtepointe de cendal vermeil, et se fit armer pour la haute aventure. Il revêtit le haubert et le heaume d’acier bruni. Les barons pleuraient de pitié sur le preux et de honte sur eux-mêmes. « Ah ! Tristan, se disaient-ils, hardi baron, belle jeunesse, que n’ai-je, plutôt que toi, entrepris cette bataille ! Ma mort jetterait un moindre deuil sur cette terre !… » Les cloches sonnent, et tous, ceux de la baronnie et ceux de la gent menue, vieillards, enfants et femmes, pleurant et priant, escortent Tristan jusqu’au rivage. Ils espéraient encore, car l’espérance au cœur des hommes vit de chétive pâture.

Tristan monta seul dans une barque et cingla vers l’île Saint-Samson. Mais le Morholt avait tendu à son mât une voile de riche pourpre, et le premier il aborda dans l’île. Il attachait sa barque au rivage, quand Tristan, touchant terre à son tour, repoussa du pied la sienne vers la mer.

« Vassal, que fais-tu ? dit le Morholt, et pourquoi n’as-tu pas retenu comme moi ta barque par une amarre ?

– Vassal, à quoi bon ? répondit Tristan. L’un de nous reviendra seul vivant d’ici : une seule barque ne lui suffit-elle pas ? »

Et tous deux, s’excitant au combat par des paroles outrageuses, s’enfoncèrent dans l’île.

Nul ne vit l’âpre bataille ; mais, par trois fois, il sembla que la brise de mer portait au rivage un cri furieux. Alors, en signe de deuil, les femmes battaient leurs paumes en chœur, et les compagnons du Morholt, massés à l’écart devant leurs tentes, riaient. Enfin, vers l’heure de none, on vit au loin se tendre la voile de pourpre ; la barque de l’Irlandais se détacha de l’île, et une clameur de détresse retentit : « Le Morholt ! Le Morholt ! » Mais, comme la barque grandissait, soudain, au sommet d’une vague, elle montra un chevalier qui se dressait à la proue ; chacun de ses poings tendait une épée brandie : c’était Tristan. Aussitôt vingt barques volèrent à sa rencontre et les jeunes hommes se jetaient à la nage. Le preux s’élança sur la grève et, tandis que les mères à genoux baisaient ses chausses de fer, il cria aux compagnons du Morholt :

« Seigneurs d’Irlande, le Morholt a bien combattu. Voyez : mon épée est ébréchée, un fragment de la lame est resté enfoncé dans son crâne. Emportez ce morceau d’acier, seigneurs : c’est le tribut de la Cornouailles ! »

Alors il monta vers Tintagel. Sur son passage, les enfants délivrés agitaient à grands cris des branches vertes, et de riches courtines se tendaient aux fenêtres. Mais quand, parmi les chants d’allégresse, aux bruits des cloches, des trompes et des buccines, si retentissants qu’on n’eût pas ouï Dieu tonner, Tristan parvint au château, il s’affaissa entre les bras du roi Marc : et le sang ruisselait de ses blessures.

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