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Une étude intégrale du roman de Didier Daeninckx, « Cannibale »

 

 

Titre : Une étude intégrale du roman de Didier Daeninckx, Cannibale.

Un roman ou un réquisitoire ?

 Carole Guérin-Callebout, professeur au collège Mendès France, Tourcoing

 

Niveau : Collège, 3ème

Objet d’étude, thème du programme :

Cette séquence se propose de répondre à une des entrées du programme de 3ème : Formes du récit au XXème et XXIème siècle. Plus précisément, la séquence s’appuie sur l’étude d’un roman de Didier Daeninckx porteur « d’un regard sur l’histoire et le monde contemporain. »

Le choix de cette œuvre repose sur la volonté de créer des repères culturels chez les élèves à partir d’un roman à la fois accessible et complexe, à la trame narrative aisément identifiable, mais éminemment polysémique.

 Le thème retenu est celui du regard porté sur l’autre, mais aussi sur soi. C’est à partir de celui-ci et en étudiant les rapports de l’homme et de la société, que les notions d’humanité et d’engagement seront questionnées. Plus largement, c’est un topos de la littérature et de la culture que les élèves seront amenés à interroger à travers la confrontation entre ce roman, des textes complémentaires et des représentations artistiques.

Tout l’enjeu de la lecture intégrale est de construire un projet qui actualise le sens de l’œuvre au service de son interprétation, tout en éveillant la curiosité des élèves et en les rendant vraiment acteur du parcours d’étude. Dans cette perspective, deux priorités ont été fixées :

  • Soigner la rencontre avec l’œuvre, puis accompagner et guider la lecture cursive : la création et l’exploitation d’un carnet de lecture s’avère ici très efficace.
  • Engager les élèves dans une relecture réflexive du roman : l’objectif est d’inviter les élèves à interroger les enjeux du roman à travers l’étude lexicale complète d’un de ces mots clés, le mot « cannibale ».

 

Objectifs généraux du projet :

lecture

 –Un texte ouvroir pour lancer l’étude de l’œuvre intégrale : la nouvelle de Patricia Highsmith, « Carnet d’un respectable cancrelat », extraite du recueil Le rat de Venise– Le roman de Didier Daeninckx, étudié en œuvre intégrale, CannibaleDes textes complémentaires pour enrichir le débat sur l’œuvre :un extrait du roman de René Maran, Batouala, p. 176 et 177 de l’anthologie itinéraires humanistes pour notre temps ;le discours de Robert Badinter, « Discours à l’Assemblée nationale sur l’abolition de la peine de mort », p. 148 et 149 de l’anthologie ;des extraits du film Elephant Man de David Lynch (1980)

culture humaniste / histoire des arts

La photographie : un art au service des hommes ?Une réflexion sur l’art de la photographie à travers la confrontation de clichés des peuples autochtones depuis les débuts de la colonisation jusqu’aux travaux de Lévi-Strauss.Ce travail, réalisé dans le cadre de la thématique Art-Etat-Pouvoir, interroge justement les relations entre cet art et le pouvoir : les clichés pris sont-ils au service du pouvoir colonial, des puissants ou invitent-ils au contraire à le dénoncer en apprenant à apprécier l’altérité ? Plus largement, ce travail permet d’approfondir la thématique du monstre qui a largement inspiré les artistes.

Types d’écrits travaillés

Des écrits fonctionnels : écrits de travail et écrits de synthèse pour répondre à la problématique posée.Un écrit fictionnel sous forme d’un discours: Et si, comme Robert Badinter (dans son discours à l’assemblée nationale sur l’abolition de la peine de mort), Gocéné avait l’opportunité de se retrouver à l’assemblée nationale pour défendre la cause de tous les siens et demander l’abolition de toute forme de colonialisme, que dirait-il ?

langue

-Un travail sur la grammaire du discours et la modalisation : le conditionnel et le subjonctif au service de l’expression de sa pensée.- les subordonnées de condition, de concession et de d’opposition- le lexique de l’indignation

oral

 Entraînement à l’oral d’Histoire des Arts. De nombreux débats interprétatifs en classe

 

 

Utilisation des TICE :

Utilisation du TNI au service des lectures des textes

Exploitation des ressources numériques en ligne pour aider les élèves à mieux écrire (dictionnaires électroniques…)

Quelques séances en salle pupitre en particulier pour travailler l’Histoire des Arts en allant observer les images et vidéos à disposition sur le web

Travail en lien avec l’ENT pour enrichir l’espace numérique de la classe avec la mise en ligne des travaux des élèves et en particulier une valorisation de l’expression orale avec des enregistrements des discours via le logiciel Audacity.

 

-NB : toutes les références de pages données le seront dans l’édition folio-

 

Présentation synthétique de la séquence  puis détail de l’activité et/ou de la séance proposée :

Plan synthétique de la séquence, Une étude intégrale du roman de Didier Daeninckx

« Cannibale »

Les premières séances de la séquence ont pour but de créer un horizon d’attente suffisamment riche pour que les élèves aient envie de lire le roman, et conduisent ensuite cette lecture sans difficulté. La place des activités augurales est essentielle pour créer une véritable communauté de lecteurs prête à s’engager dans le parcours d’étude du roman.  
Séance 1 : la rencontre avec le roman La rencontre avec le roman va se faire en deux temps lors d’une séance décrochée pendant la séquence précédant celle-ci:

  • Elle débute par la découverte d’une nouvelle, à la manière d’un texte « ouvroir » qui va lancer la séquence. L’objectif est de créer un point d’ancrage à la lecture à venir en lançant un débat qui servira de base de questionnement tout au long de l’étude : qu’est-ce qu’être un homme? Qu’est-ce qu’être un animal?

La nouvelle se présente en effet comme le journal écrit, depuis son hôtel, par un cancrelat fin lettré et féru de culture qui porte un regard acerbe sur les hommes et leurs agissements.

  • Le roman est alors introduit (il a été préalablement acheté par les élèves, mais il peut aussi avoir été distribué si une série de livres est disponible dans le collège) avec en parallèle la distribution d’un carnet de lecture.

La lecture des premières pages du roman (pages 11 à 20) associée à l’examen des documents iconographiques (vidéo-projetés) du carnet de lecture permettent d’achever la contextualisation historique, géographique et socio-politique de l’œuvre.

Les élèves sont prêts à lire le roman en se laissant guider par leur carnet de lecture.

Deux exploitations possibles :

-Tous les élèves le réalisent dans son intégralité

-Une démarche de différenciation pédagogique est mise en œuvre en demandant aux élèves les plus en difficulté de répondre aux questions posées (dans l’ordre de la lecture) et de les inviter à réaliser le bilan et aux élèves les plus autonomes de ne répondre qu’aux deux questions de synthèse de la dernière page.

Les élèves disposent de quinze jours pour lire le roman, le temps d’achever la séquence précédente.

Séance 2 : séance à dominante lexicale/ problématiser le parcours d’étude Cette séance (expliquée dans le détail de son déroulement ci-dessous) a pour but de problématiser l’étude à venir à partir d’une discussion collective, menée à partir de l’étude du verbe « coloniser ». Elle débute par une activité de recherche lexicale et de réflexion sur l’usage des dictionnaires électroniques en salle pupitre, débouchant sur la rédaction d’une définition personnelle du verbe coloniser.Elle se poursuit avec un débat mené en classe pour comprendre l’écart entre cette définition et celle donnée dans le livre, dans la bouche de « l’adjoint du gouverneur » et s’interroger ainsi sur les intentions de l’auteur. La séance se clôt par la construction de la problématique d’étude du roman :

Quel regard sur le monde le roman dénonce-t-il? Et dans quelle mesure l’écriture du roman peut servir l’engagement ?

La seconde partie de la séquence est essentiellement consacrée à la construction du parcours de lecture intégrale du roman de Didier Daeninckx
Séance 3 : séance de lecture analytique Lecture analytique de l’extrait n°1 : La mort des crocodiles (p. 25 à 27) (p. 25 dès le début  jusqu’au début pages 27, passage en italique compris ; ce qui permet de comprendre la construction narrative et de saisir toute la profondeur et la visée du récit). La lecture est enrichie par la mise en parallèle du rêve de Gocéné (p. 47) et s’achève par la rédaction par les élèves d’un portrait du personnage principal :Pourquoi peut-on dire de lui qu’il est un personnage charismatique ? Peut-on le qualifier de résistant et au service de quelle cause ? Cet écrit permet ainsi de donner plus d’ampleur là la lecture analytique en invitant les élèves à faire résonner le texte étudié à la lumière de l’ensemble du roman.
Séance 4 : séance de lecture analytique Lecture analytique n°2, une lecture comparée de deux extraits : Un nouveau monde. Cette lecture a pour but de porter un regard réflexif sur les pages du roman consacrées à la découverte de Paris par les Kanaks : l’entrée de la ville, p.41 : « Une jungle de pierre….quand un groupe de fêtards s’est annoncé en braillant. » et la description de la gare de l’Est, p.70 et p. 71 (haut de la page): « Des totems à figure de femmes……pour essayer de comprendre dans quel monde nous étions tombés. »Il s’agit d’un Paris métamorphosé par la métaphore filée, vu par « l’autre ». Ces pages interrogent ainsi la manière dont on voit l’autre et dont l’autre nous voit et offrent des premiers éléments de réponse à la problématique.
Séance 5 : séance d’Histoire des Arts Cette séance poursuit la réflexion lancée sur le regard de l’autre lors de la séance précédente en convoquant cette fois-ci le regard des artistes.La séance s’appuie sur quelques extraits du film Elephant Man qui progressivement invite à renverser la perspective.Elle se poursuit par un travail de comparaison entre des photographies prises pendant l’exposition coloniale de 1931 et celles prises plus tard par Claude Lévi-Strauss. Ces photographies permettent d’analyser l’évolution du regard sur l’autre et comprendre plus largement comment les arts contribuent à forger notre vision de nous-mêmes, des autres et du monde.
Séance 6 : séance de lecture analytique Séance de lecture analytique n°3 : La rencontre de Fofana/ (p 76 : « Entrez par ici… » à p. 81 : « On ne te remerciera jamais assez pour ton geste, Fofana. ») Cet extrait permet de mettre en lumière une autre histoire coloniale tragique, celle du sort réservé aux anciens tirailleurs sénégalais.Elle permet de dresser de nombreux parallèles entre le personnage de Gocéné et celui de Fofana et ainsi de comprendre comment la construction romanesque de ces personnages sert l’engagement de l’auteur.
Séance 7 : séance de lecture analytique ance de lecture analytique n°4 : Le face à face entre Albert Pontevigne et Gocéné (p. 76-77).Cette dernière lecture analytique clôt le parcours et offre les derniers éléments de réponse à la problématique en étudiant les différents procédés qui transforme progressivement Albert Pontevigne en barbare.
Séance 8 : séance d’écriture L’objectif est de s’assurer que les élèves ont bien compris le roman et de leur donner l’occasion de se l’approprier totalement à travers l’écriture. La séance débute par la lecture du discours de Robert Badinter (p. 148-149 de l’anthologie) pour en analyser les idées, la structure et les différents procédés de modalisation.Dans un second temps, les élèves sont invités à écrire le discours de Gocéné demandant l’abolition de la colonisation, en exploitant tous les procédés de l’indignation et en reprenant les différentes idées débattues à travers le parcours.
Séance 9 : bilan de la séquence Au terme de la séquence, chaque élève est invité à poster un commentaire pour donner un avis argumenté sur ce roman accompagné d’une citation voire d’un passage jugé particulièrement pertinent, révélateur, marquant et/ou choquant.

 

Une séance de lexique : savoir questionner le sens des mots pour parvenir à problématiser l’étude d’une œuvre

 

L’activité lexicale va constituer ici le moyen d’entrer dans la relecture de l’œuvre. L’objectif est d’en faire le levier pour renouveler le regard que les élèves portent sur le roman après validation de la lecture cursive :

            1-  Quel sens donner au verbe « coloniser »? Comment construire une définition?

            2- Comment aider les élèves à développer une posture réflexive  face à la pluralité des ressources numériques à disposition?

            3- Comment exploiter les définitions d’un mot? Comment s’en servir pour construire le projet de relecture du roman?

 

  • Première étape : définir le mot coloniser

Le premier travail a pour but de parvenir à une définition du mot en s’appuyant sur une exploitation de dictionnaires électroniques. En salle pupitre, les élèves vont chercher un document de travail dans le dossier commun de la classe. Chacun le complète personnellement.

Pour tenir compte de la diversité des profils de la classe, un contrat minimal est donné visant à fixer les savoirs fondamentaux. Chacun doit parvenir à reformuler personnellement le sens du verbe, en s’appuyant sur la famille du mot.

L’objectif de l’activité est double :

–          apprendre aux élèves à construire une définition avec rigueur, précision et clarté

–          permettre aux élèves de s’interroger véritablement sur le sens des mots grâce au travail de reformulation et de synthèse des différentes sources

  • Deuxième étape : développer réflexion et esprit critique

L’objectif est de faire en sorte que les élèves dressent un bilan de la première activité proposée en comparant les différents dictionnaires électroniques exploités. Chacun s’appuie sur ses propres recherches.

C’est cette activité de comparaison qui va préparer les élèves à développer une nouvelle posture réflexive.

Il s’agit ensuite de mutualiser les travaux pour aboutir à une définition commune du verbe « coloniser ». Les élèves convoquent synonymes, antonymes, famille du mot comme autant d’indices pertinents pour faire avancer le débat et parvenir à une définition négociée collectivement.

 

  • Troisième étape : problématiser une lecture en s’appuyant sur le sens d’un mot et ses emplois

Il s’agit de dresser un bilan complet en reprenant la définition du verbe « coloniser » issue de la négociation collective et de la confronter à la définition présente dans le roman, délivrée par l’adjoint du gouverneur.

Cette confrontation va permette d’interroger le roman : que peut nous apporter la lecture de ce roman? Quelles peuvent être les intentions de l’écrivain?

Pour faciliter le débat, un document de synthèse est vidéo-projeté, reprenant quelques éléments de réponses trouvés par les élèves dans la phase de recherche initiale.

Les élèves sont invités à analyser les valeurs associées au mot selon le contexte dans lequel il est employé.  Ce travail d’analyse est enrichi par l’apport de documents iconographiques (contexte d’époque et images de l’autre) et surtout par la lecture de l’extrait du roman de René Maran.

Dans ce roman en effet, le narrateur est un « colonisé » et permet d’envisager de « l’intérieur » les ravages de la colonisation.

Les élèves sont invités à rendre compte de leur compréhension globale de l’extrait pour détailler le contexte de la rencontre entre Batouala et les « maudits Blancs ». Il s’agit ensuite de les amener à interroger les conséquences de cette rencontre : tristesse, soumission et anéantissement de toute culture « par tout le pays noir ». Tout l’intérêt est de mettre ce texte en regard du roman de Daeninckx en demandant aux élèves ce que représente la danse pour les colonisés, à la lumière du texte de Maran et pour les colonisateurs, à la lumière des ordres donnés par le gouverneur lors de l’exposition coloniale dépeinte par Daeninckx.

  • Bilan et réinvestissement

La lecture de ce texte conduit donc les élèves à appréhender la tragédie de la colonisation et leur permet, dans une ultime étape, de poser les questions qui vont accompagner l’étude du roman :

–          un roman engagé?

–          un roman ou un réquisitoire?

–         un roman qui porte un regard sur l’homme ou sur la barbarie?

L’étude peut commencer…

 

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Bilan : compétences mobilisées au cours des différentes activités du projet

L’ensemble des compétences du socle seront travaillées au cours de la séquence et plus particulièrement les compétences 1 et 5 : la maîtrise de la langue française et l’acquisition d’une culture humaniste.